Biotechnologies : brevetabilité du vivant et faim dans le monde

6 avril 2000, 17 rue Léopold Bellan

Anne Liebskind présente l'association OGM dangers qui est un rassemblement de citoyens préoccupés par l'irruption des sous-produits des techniques de transgénèse. La préoccupation de l'association va des conséquences philosophiques et politiques aux causes qui ont pu donner naissance à ces applications industrielles.

Nicole Thiers présente le groupe ATTAC-OGM, formé à l'intérieur de l'association ATTAC qui souhaite limiter la spéculation internationale. La démarche d'ATTAC-OGM est de tenir des stands à la sortie des supermarchés pour sensibiliser les consommateurs et faire signer une pétition demandant au directeur de supermarché de retirer les OGM des produits de son enseigne.

Hervé Le Meur (HLM) rappelle les quelques rudiments de la fabrication d'un OGM. Puis il présente Jean-Pierre Berlan (JPB), directeur de recherches à l'INRA et membre du conseil scientifique d'ATTAC. Il introduit le débat en rappelant qu'il est parfois soutenu que la brevetabilité du vivant va doper la recherche, donc le bien-être pour l'humanité. Il demande à JPB ce qu'il en pense et pourquoi le titre de son intervention est " En finir avec l'agriculture transgénique ".

JPB : Le sujet est, en fait, de parler de la guerre au vivant. On ne peut pas parler en termes de risques/bénéfices car on ne connaît pas les risques (ni les bénéfices d'ailleurs !).

- Il y a renversement dialectique car la Science, c'est le monde du "je ne sais pas". Ce n'est pas le monde du savoir certain.

- Le complexe agrochimique a plaidé que ces OGM n'étaient qu'une continuation de ce qui se faisait auparavant, en plus précis, afin de faire passer la pilule, alors que c'est faux. En plus, on a inventé la notion d'équivalence en substance. L'exemple de la tryptophane montre bien que c'est une escroquerie intellectuelle. Cette substance a un intérêt thérapeutique et une entreprise japonaise a proposé, plutôt que d'utiliser les moyens antérieurs, de fabriquer une bactérie recombinante pour lui faire produire cette tryptophane. Comme la FDA a considéré qu'il y avait équivalence, la tryptophane d'origine recombinante n'a pas été étiquetée. Une épidémie s'est développée avec des paralysies partielles et même des morts. A cause du non-étiquetage du à la prétendue équivalence, il a fallu un temps très long avant de deviner que tout ce qui était vendu sous le nom de tryptophane n'en était forcément. Le bilan est de 50 morts et 1500 paralysés. En plus, l'entreprise a refusé de coopérer, et quand elle y a été forcée, un incendie a détruit le stock de bactéries recombinantes !

- Comment en est-on arrivé là ?

- Tout d'abord, il faut énoncer un principe économique jamais démenti : "  personne ne peut vendre à autrui ce dont il dispose à satiété ". Ce truisme implique que le semencier doit, par quelque moyen que ce soit, interdire au paysan de garder des graines. Ce qui gène le semencier, c'est cette propriété que le vivant a de se reproduire, de se multiplier dans le champ du paysan.

- Dans notre société, la loi du profit s'oppose à la loi de la Vie. Et dans l'histoire, depuis la révolution industrielle, la loi de la Vie a toujours perdu. Si l'on revient à l'exemple du semencier et du paysan, une des solutions proposées par les semenciers est le brevet Terminator qui est une arme très puissante dans cette guerre au vivant. Il permettra à des semenciers de vendre des semences qui donneront des graines qui, semées, seront ... stériles. Cela force, de facto, les paysans à racheter un stock de graines tous les ans.

- Mais cette guerre au vivant avait déjà commencé avec les hybrides F1 introduits dans les années  1950. Ces hybrides ont cette propriété de s'autodétruire dans les champs, ce qui revient à une forme de stérilité. A l'époque, seules quelques personnes s'étaient attachées au fait que les hybrides créent une clientèle captive. Les OGM sont la poursuite de tout cela.

- Terminator est, en fait la première révélation du complexe génético-industriel. Leur objectif est bien de stériliser le vivant pour contrôler les ventes des semences (donc le contrôle de la chaîne alimentaire mondiale), en accord avec le principe énoncé plus haut.

- Contrairement à ce que disent les journaux, Terminator n'est pas une erreur, car c'est le fruit de longues recherches scientifiques du ministère de l'agriculture américain et d'entreprises. Ces recherches tendent à renforcer le pouvoir du semencier sur le paysan, à poursuivre la guerre au vivant. La dialectique utilisée montre bien la malhonnêteté intellectuelle puisque le nom juridique de Terminator est "technologie de protection des cultures" !

- Il existe déjà des brevets plus vicieux encore, les GURTs. Avec Terminator, il faudrait tremper la graine dans un bain de tétracychline. Avec les GURTs, c'est le paysan qui doit acheter une substance (antibiotique, herbicide, ou toute substance chimique) pour en asperger son champ.

- Les brevets constituent une autre forme de stérilisation : Terminator juridique. C'est ainsi qu'environ 500 paysans sont actuellement poursuivis aux Etats Unis d'Amérique (EUA) pour avoir gardé des graines comme l'ont fait les paysans depuis le néolithique ! On voit aussi ici un renversement dialectique quand on parle du " privilège de l'agriculteur " pour désigner la possibilité du paysan d'utiliser cette propriété du vivant de se reproduire et de se multiplier dans le champ du paysan. Il ne s'agit donc pas d'un privilège et il n'est pas réservé à l'agriculteur.

- Il existe encore un autre type d'arme dans la guerre au vivant depuis la dernière réforme de la PAC (Politique Agricole Commune). Pour toucher des subventions sur le blé dur, un paysan doit prouver qu'il a acheté au moins 75 % de semences certifiées (c'est à dire vendues par un semencier). C'est une autre façon d'augmenter le pouvoir des semenciers sur la chaîne alimentaire mondiale.

- En plus, les OGM sont associés à une société de délation : les semenciers ont engagé la firme de détectives Pinkerton qui, au XIX ème siècle, avait lutté contre les mouvements sociaux, pour traquer les paysans qui garderaient des semences OGM. De même, un numéro de téléphone de délation a été créé pour dénoncer les paysans qui garderaient des semences OGM. Les OGM sont donc un choix politique. Il n'y a aucune raison pour qu'une société démocratique choisisse de donner le pouvoir de stériliser à des multinationales.

- HLM remercie JPB pour son intervention. Il demande à Jean-Pierre Leroy (JPL), de la Confédération Paysanne ce qu'il pense de l'idée selon laquelle les OGM résoudraient la faim dans le monde et pourquoi il a choisi le titre : " paysans solidaires " à son intervention. HLM donne l'exemple du riz transgénique contenant du béta-carotène. De nombreux scientifiques défendent les OGM avec cet exemple en disant que ce riz pourrait éviter la cécité à des millions de personnes en Asie. HLM demande à JPL comment on peut être opposé aux OGM, s'il existe de tels miracles.

- JPL : Il y a quelques années, la Confédération Paysanne a invité Philippe Gay, inventeur du maïs Bt de Novartis. Il avait soutenu que les OGM permettraient de résoudre la faim dans le monde ! En fait, la faim dans le monde ne serait pas résolue par une hausse de la production globale. Le problème est plus complexe et fait intervenir aussi la répartition des richesses.

- En France, nous produisons avec des avantages (subventions, mécanisation, ...) qui font que nos produits arrivent en Pologne, par exemple, à des prix inférieurs à ceux locaux. Du coup, les paysans polonais arrêtent de produire et entrent dans une dépendance alimentaire. Le raisonnement est le même pour les pays du Sud.

- Le céréalier de la Beauce reçoit des subventions qui confortent sa position à l'exportation. En fait, tout cela contribue à détruire des agricultures locales. Ce qu'il faut aux pays du Sud, c'est un développement progressif, non brutal. C'est ce que nous avons connu, mais nous les privons quand même de cette expérience pour asseoire notre pouvoir sur leur agriculture.
JPB rappelle que Gordon Conway, président de la Rockefeller Foundation, qui essaie de soutenir l'existence des OGM pour le Sud, a dit explicitement que le but des biotechs est de gagner de l'argent, et pas de résoudre la faim dans le monde.

- Salle : On pourrait imaginer un parallèle avec la révolution verte. Qu'en pensez-vous ? Peut-être cette révolution génétique serait-elle aussi un formidable apport pour le Sud ?

- JPL : C'est oublier que la révolution verte (dans les années 50-60), ca a été aussi la transformation des paysans libres en clientèle captive pour les semenciers, l'appauvrissement de populations entières qui ont formé des bidonvilles.

- HLM ajoute l'exemple des semenciers occidentaux du Ghana, qui, la première année, ont expliqué aux paysans ghanéens que leurs trois ou quatre variétés de maïs optimisées étaient nettement meilleures que les innombrables semences qu'ils avaient. Ils leurs ont proposé de les leur vendre. La pauvreté des paysans a forcé les semenciers à s'adresser au FMI qui leur a prêté. Les rendements ont effectivement été supérieurs. La deuxième année, les mêmes entreprises qui vendent aussi les intrants (herbicides, pesticides, ...) ont conseillé leurs produits. Par le biais du FMI, elles ont pu placer leurs intrants et la production a ... augmenté. Si l'on s'arrête là, la description de la révolution verte peut être laudative. Allons plus loin.

- Il n'est pas dans l'intérêt des semenciers de limiter la vente (et donc l'usage) de leurs produits. Les paysans ghanéens ont vite vu que ces produits chimiques rendaient la terre trop salée (ils appelaient les intrants " devil's salt " : le sel du diable). Le FMI ayant supprimé ses aides (à cause d'un gouvernement qui ne lui plaisait pas), les paysans ont arrêté ces pratiques " modernes ". Et là, ils se sont aperçus que derrière le " toujours plus ", se profilait la catastrophe car 1) ils étaient ruinés 2) leur terre était morte 3) ils avaient perdu leurs stocks de graines 4) ils avaient perdu la diversité de leurs graines. Or la diversité n'est pas qu'une préoccupation d'écologiste parisien.

- Salle : Justement, sur la diversité, je voudrais souligner le travail de Terre de semences et de l'association Kokopelli qui maintient d'innombrables variétés, mais est sous le coup d'une interdiction de vente de ses graines.

- HLM rappelle que le riz basmati a été breveté, ce qui montre que la brevetabilité va à l'encontre des pays du Sud (ici, indiens et pakistanais).
HLM rappelle aussi, en réponse à l'argument pro-OGM du riz au béta-carotène, cité par lui, qu'il suffit de manger des fruits (qui existent en Asie du Sud Est) pour avoir l'apport en vitamine A recherché. Mais une telle solution simple ne peut exciter le NASDAQ. Il n'en est que plus troublant que des sommités scientifiques (y compris du secteur public) justifient les OGM avec cet argument d'autant plus dérisoire qu'on ne voit pas comment les pauvres achèteraient ces produits de haute technologie.

- Plusieurs autres questions, commentaires et réponses très intéressants ont été échangés entre la salle et les conférenciers. Mais j'avoue ne pas avoir gardé toutes les traces.

Paris le 6 avril 2000

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