Génétique humaine : rêve ou cauchemar ?

Compte-rendu de l'intervention de André Pichot (AP).

AP explique que son exposé sera moins ordonné que celui de M. Bénichou et qu'il ne va pas exactement dans le même sens. M. Bénichou va vers l'avenir, AP va vers le passé. Non pas comme dans le livre La société pure où il a expliqué l'histoire de l'eugénisme, mais en parlant de l'hérédité, c'est à dire en essayant de voir comment ces notions se sont formées.

L'hérédité, tout le monde sait ce que c'est. Or, il faut savoir que cette notion est très récente. Par exemple des fonctions physiologiques comme la nutrition, la génération sont des fonctions très connues depuis Aristote, Galien, c'est à dire depuis l'antiquité. L'hérédité, elle, est une notion apparue au XIX ème siècle et elle s'est vraiment mise en place dans la deuxième moitié du XIX ème siècle.

Aujourd'hui, on définit souvent la génétique comme la science des caractères héréditaires. Mais qu'est-ce qu'un caractère héréditaire ? La génétique elle-même dit que les caractères ont à la fois un déterminisme génétique et un déterminisme externe (du milieu). Tous les caractères sont à la fois influencés par l'un et par l'autre.

La notion de caractère héréditaire est le type même d'une fausse évidence. Cela vient des notions de génotype et de phénotype qui sont très mal définies. La couleur des yeux est un caractère apparent, mais la structure d'une protéine ne l'est pas. Pour autant, on ne peut pas dire où commence ou finit le caractère apparent. Comme il y a un glissement de l'apparent, au non apparent, on applique ces définitions à des caractères qui ne devraient pas être qualifiés ainsi.

En fait, la notion de caractère héréditaire n'existe pas.

Historique de la notion de gène

On pourrait alors dire que la génétique est la science des gènes. Mais la notion de gène est complexe [cf. Histoire de la notion de gène de A. Pichot NdR]. Dans les années 1880, 1890, pour August Weismann (zoologue allemand 1834-1914) le gène s'appelait biophore et pour Hugo de Vries (botaniste hollandais1848-1935) il s'appelait pangène. Pour ces auteurs, le gène est la particule élémentaire dont est faite la matière vivante. Le matériel héréditaire est alors un échantillon représentatif de ces particules transmis à la descendance. Aujourd'hui, quand on dit qu'on transmet un gène, cela vient de ce qu'à l'origine, on considérait la matière vivante comme faite de particules élémentaires.

En 1909, le mot gène est inventé par Wilhelm Johannsen (généticien danois 1857-1927) inventeur de la génétique des populations à partir du "pangène" de de Vries. Pour Johannsen, le gène est une unité de calcul. Pourquoi ? Parce que la génétique des populations utilise des méthodes mathématiques. Elle se moque de la nature physique du gène. Donc, il ne retient pas la vision de « particule élémentaire de la matière vivante », mais garde l'idée d'une unité (de calcul !) de l'hérédité.

Ce n'est qu'en 1915 (et surtout après 1920) que l'américain Thomas Morgan (1866-1945) invente la génétique formelle. Pour Thomas Morgan, le gène est un locus, c'est à dire un emplacement sur un chromosome.

Donc le gène est passé d'une unité élémentaire de la matière vivante [!?], à une unité de calcul, puis à un emplacement sur un chromosome. On ne sait toujours pas ce qu'il y a dans cet emplacement.

En 1944, Schrödinger va définir le gène comme l'ordre des atomes d'une macromolécule (on ne sait pas encore que c'est l'ADN le support de l'hérédité car cette découverte date de 1944, soit la même année que la publication du livre de Schrödinger).

Cet ordre des atomes, est ce qui va devenir l'information génétique, le programme génétique !

La même année (1944) sont publiés les travaux d'Avery (?) sur la transformation du pneumocoque qui montrent que l'ADN est le support de l'hérédité.

En 1953, c'est la découverte de la structure de l'ADN (Crick et Watson). On va alors définir le gène comme un fragment d'ADN. On a enfin une "base" chimique ; c'est un segment d'ADN. En même temps, on sait que le gène est l'ordre d'un fragment d'ADN.

Mais on découvre dans les années 70, que le gène n'est pas quelque chose de continu, mais qui contient des parties dont on ne sait pas à quoi elles peuvent servir.

Le gène n'est donc plus défini comme une entité physique, mais comme une entité fonctionnelle, ce qui est une manière de contourner la difficulté d'une définition physique ou chimique.

Donc, en un peu plus d'un siècle, le gène a changé de définition plus de cinq fois (sans compter qu'avant la guerre, certains le considéraient comme une protéine).

Michel Morange (La part des gènes Odile Jacob) est généticien et dit dans un de ses articles ; « La seule solution est d'accepter la triste réalité. Le concept de gène est un concept mal défini, flou, plus exactement multiple ». Pour compenser, il continue « Cette faiblesse de la notion de gène est aussi sa force. Elle permet à cette notion d'être utilisée dans des acceptions différentes et par des spécialistes ayant des approches totalement différentes ... ». M. Morange conclut « le gène est une construction historique et sociale. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas utile, il faut rendre hommage à Mendel et à ses successeurs. Non pas pour leur découverte du gène, mais pour la construction d'une notion si utile bien que bancale ». Il continue en disant que « la notion de gène est un noeud permettant de faire tenir ensemble l'ensemble de la biologie contemporaine ».

Historique de la notion d'hérédité

On se trouve donc devant une génétique qui étudie les caractères héréditaires, mais qui ne sont pas vraiment des caractères héréditaires et des gènes qui sont dans le plus grand flou. La seule solution pour résoudre ce paradoxe est de dire que la génétique est une science sans objet car elle n'a pas d'objet à étudier, mais elle a une fonction et AP le justifie.

Jusqu'à la fin du XIX ème siècle, le mot hérédité était synonyme d'héritage. C'était l'ensemble des biens des titres et des fonctions qu'un individu laissait à sa descendance. La première acception biologique de ce mot date (selon le Robert historique de la langue franĉaise) date de 1821. Le mot est resté peu usité et a décollé après 1850, 1860. Avant 1821, héréditaire était employé dans un sens biologique, mais exclusivement dans le cas des maladies. Il ne concerne donc pas un caractère biologique puisqu'une maladie (ou malformation) n'est pas un caractère, mais une altération de ce caractère.

Après 1850, le mot hérédité se répand. Mais il faut garder à l'esprit que la Philosophie zoologique de Lamarck date de 1809 et L'origine des espèces de Darwin date de 1859. Le premier traité sur l'hérédité est un ouvrage de Prosper Lucas en 1847-1850 Traité philosophique et physiologique de l'hérédité naturelle. En 1847, on parle encore de l'hérédité naturelle car l'hérédité est encore une notion socio-économique. Son sens biologique n'est donné par Littré que comme cinquième et dernier sens du mot dans son édition de 1863.

C'est vers ces même années que l'on voit apparaître la théorie de la dégénérescence et qui est essentiellement une dégénérescence mentale. Le cadre des théories de l'hygiénisme au XIX ème siècle est essentiellement celui des ravages de la révolution industrielle : l'urbanisation, les déplacements de populations qui se groupent dans des villes surpeuplées et avec un état sanitaire très réduit, la prostitution, l'alcoolisme, ...

Les théories de l'hérédité diffèrent de celles de la génération (ou reproduction) en ce qu'elles cherchent un organe de l'hérédité et pas seulement un organe de la génération. En 1866, un zoologique allemand, Ernst Haecke, postule que le noyau de la cellule porte l'hérédité, tandis que le cytoplasme sert à recevoir les actions extérieures. En 1876, Hertwig constate que le spermatozoïde et l'ovule fusionnent lors de la fécondation. Le fait que le spermatozoïde pénètre dans l'ovule est connu depuis 1850 (Newport).

En 1884, Nägeli propose l'idée d'un idioplasme porteur de l'hérédité et en 1880, Weissmann parle de plasma germinatif porteur de l'hérédité. Celui-ci est ensuite associé aux chromosomes.

Ce n'est qu'à la fin du XIX ème siècle qu'on identifie un organe de l'hérédité. On a alors une séparation des théories de la génération qui continuent d'être étudiées par les physiologistes qui se moquent de la notion d'hérédité et celles de l'hérédité.

On doit remarquer que les personnes citées sont de culture allemande (de Vries, Weissmann, Hertwig, Nägeli, ...).

Les chercheurs cherchent à préciser un organe de l'hérédité. En fait, le gène sert à expliquer l'hérédité qui est, elle (et non le gène comme le dit Morange), une construction sociale, historique datée du XIX ème siècle. L'hérédité est inventée en même temps que la génétique.

Pourquoi l'hérédité est-elle inventée ?

Lamarck (qui ne traite pas de l'hérédité !) indique à quoi sert l'évolution. Pour lui, l'évolution sert à expliquer les êtres vivants sans recourir ni à une force vitale, ni à un dieu créateur. Pour lui, les êtres vivants les plus simples peuvent apparaître par seule génération spontanée. Mais les êtres vivants complexes ne le peuvent pas. Donc Lamarck imagine que les êtres vivants simples vont produire des êtres vivants de plus en plus compliqués ... jusqu'à arriver à des êtres plus complexes. On a donc besoin d'une explication historique en plus de la génération spontanée et on fait se superposer deux explications : une historique et l'autre physique qu'on doit articuler. Il faut un pont entre ces deux explications, et ce sera l'hérédité. Mais Lamarck l'a mal compris. Il n'a pas proposé de théorie de l'hérédité. Même si l'hérédité est bien le centre de la théorie de Lamarck, ce centre n'est pas théorisé. Par la suite, quand on parlera de la théorie de l'hérédité lamarckiennne, on va projeter sur la théorie de Lamarck la notion d'hérédité élaborée après sa théorie !

Grâce notamment à la théorie de l'évolution de Darwin, et aux théories biochimiques qui balbutient, on va vouloir rattacher la théorie de l'évolution aux théories physicochimiques de l'être vivant. On va donc inventer une notion d'hérédité et une science de cette notion (la génétique) pour articuler l'évolution et les théories physico-chimiques de l'être vivant.

AP note que les généticiens sont de culture germanique, et que les allemands ont une forte tradition en Chimie. C'est pourquoi ils ont souhaité articuler les deux (Chimie et évolution). D'ailleurs, les premières théories de l'hérédité biologique sont les théories de Weismann et de Vries, et cette idée de constituer la matière vivante de particules (vision mécaniste !) est directement inspirée des théories chimiques de l'époque.

Les théories de Weismann et de Vries seront supplantées par celles de Johannsen (génétique purement mathématique ) ou celles de Morgan (qui voit les chromosomes de faĉon topologique).

Ce n'est qu'en 1944 que la génétique est redevenue chimique avec la découverte de l'ADN comme suppport de l'hérédité.

On a donc une notion de l'hérédité que la génétique prétend étudier comme si c'était une fonction physiologique (respiration, structure de l'ADN, ...), alors que l'hérédité est une notion construite pour articuler deux types d'explications : l'explication phyique et l'explication historique en biologie.

On a donc une notion de l'hérédité que la génétique prétend étudier comme si c'était une fonction physiologique (respiration, structure de l'ADN, ...), alors que l'hérédité est une notion construite pour articuler deux types d'explications : l'explication phyique et l'explication historique en biologie.

D'ailleurs, la génétique est constituée de trois branches. La génétique des populations (cf. ci-dessus, c'est une théorie qui interprète l'évolution par la variation des proportions des différents gènes), la génétique moléculaire, qui se préoccupe des mécanismes chimiques de l'hérédité (explication de type chimique), et la génétique formelle (populationelle par les méthodes, mais elle prétend en tirer un mécanisme de l'hérédité sans étudier son substrat).

On prétend donc étudier l'hérédité comme un fait naturel, alors que c'est un fait construit, pour des raisons historiques.

L'étymologie du mot hérédité

Hérédité vient du latin hereditas, qui renvoie à une racine indo-européenne qui indique l'idée de privation. En allemand, Erbe ou Vererbung qui renvoie à une autre racine indo-européenne qui signifie privé de parent. C'est la même étymologie que orphanos en grec qui a donné orphelin. Etymologiquement, l'hérétier est l'orphelin ! D'ailleurs, l'héritage est ce que l'on reĉoit de ses parents quand ils sont morts. Mais cela ne correspond pas du tout à la notion de l'hérédité biologique car on a leur hérédité sans que ses parents soient morts.

En grec aussi, il n'y a pas le terme de "maladie héréditaire", mais il y a celui de "maladies de famille".

Ce sont donc bien deux notions très différentes et inventées.

Pourquoi cette notion d'hérédité ?

Avant les théories de l'évolution, la génération était une reproduction (mot utilisé depuis le XVI ème siècle). On pensait la génération par les théories fixistes. Bien sûr, de telles théories n'ont aucune dimension historique car la reproduction se fait à l'identique. Il n'y a donc pas de transmission, mais une reproduction.

Sauf dans un cas : les maladies. Parce que les maladies sont transmises plus que reproduites. La maladie perturbe la reproduction à l'identique.

La maladie peut servir alors de marqueur alors que les caractères non pathologiques, étant trop répandus dans la population (et mal définis), ne le peuvent pas.

AP souligne qu'il faut, avant d'étudier les notions, voir d'où elles viennent. L'hérédité n'est pas une notion naturelle, mais construite, et le problème est qu'on a créé une science pour étudier une notion qui n'est pas naturelle, mais construite.

Le génotype est ce qui est déterminé par les gènes, c'est à dire par des propriétés intrinsèques (alors que, comme le dit AP, cela n'a pas de sens).

Le phénotype est ce qui apparaît (phainein en grec veut dire apparaître).

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