Rencontres de Vendémiaire
La science contestée
9, 10, 11 octobre 2002 de 19h30 à 21h30 au 17 rue Léopold Bellan 75002 Paris Métro Sentier - Réaumur- Les Halles.
Mercredi 9 octobre 2002 (compte rendu) :
Christophe Bonneuil est rattaché au Centre Koyré d'Histoire des Sciences et des Techniques, membre de la Fondation Sciences Citoyennes
Etant donné la performativité sociale et politique de la technoscience,
une société démocratique devrait pouvoir choisir collectivement
les techniques dont elle veut se doter et les savoirs qu'il lui semble souhaitable
d'acquérir.
Pour que ces choix ne soient pas le seul fait des logiques technicistes ou mercantiles,
une stratégie consisterait notamment à redistribuer les capacités
de production des savoirs et d'expertise, actuellement monopolisées par
l'Etat et les firmes, vers les contre-pouvoirs citoyens
(exemple, la Criirad). Une autre (partagée par de nombreuses ONG écologistes)
consiste à établir, dans différentes luttes, des convergences
avec une partie de la communauté scientifique et technique (par exemple
les disciplines les moins réductionnistes) contre d'autres parties (par
exemple
celles qui sont liés à des intérêts et des valeurs
mécanistes ou marchandes).
Ces stratégies sont-elles pertinentes ? Ou bien renforcent-elles au
contraire le statut et le pouvoir de la science par défaut de critique
de celle-ci à la racine ? Traduisent-elles une dérive vers des
schèmes scientistes (dont certaines pensées écologistes,
dès les origines, ne sont pas exemptes)? Ulrich Beck l'a bien montré,
dans nos "sociétés (industrielles) du risque", la contestation
accrue de l'expertise et la science s'accompagne dialectiquement d'un recours
toujours plus intense à celles-ci (d'où l'erreur profonde de ceux
qui hurlent à l'obscurantisme et aux "vandales").
Il suffit de regarder la dynamique de controverses récentes (Vache folle,
sang, OGM...) pour se convaincre de cette tension majeure. Dans ce contexte,
certains craignent, avec les organisateurs de ces débats, que les stratégies
envisagées ci-dessus (tiers secteur scientifique, alliance avec des scientifiques
pour critiquer certains développements technoscientifiques) ne contribuent
qu'à maintenir intact l'autorité des discours scientifiques dans
l'espace social, voire à "scientifiser" la politique. Mais
ces stratégies (et les controverses qu'elles stimulent) ont aussi pour
effet de politiser la science, en révélant à quel point
tout objet technique et tout savoir scientifique incorpore des valeurs, des
intérêts et des visions du monde méritant débat.
Peut-on alors ouvrir la boite à outil et veiller à ce que la quête
de savoirs et l'innovation incorporent dès le départ des valeurs
et des préoccupations multiples et collectivement élaborées?
Armand Farrachi est auteur de Les Ennemis de la Terre (Exils), les Poules préfèrent les cages (Albin Michel). Militant associatif pour la protection de la nature et de la faune sauvage, co-fondateur de la Convention Vie et Nature pour une Ecologie Radicale.
LA SCIENCE COMME IDEOLOGIE
Résumé
Associer, comme l'ont fait les Lumières, la science au bonheur c'est
déjà la constituer en idéologie. Aussi, dès son
premier texte, Rousseau dénonce ce rapprochement dans une critique qui
garde aujourd'hui sa légitimité. La rationalité est déjà
une forme de domination, en particulier contre la nature. Elle entraîne
avec elle des concepts idéologiques qui passent pour des vérités
scientifiques : par exemple : le progrès est inéluctable, il n'y
a pas d'alternative au développement, la vérité se passe
de la morale et de la sensibilité, la fin justifie les moyens, la nature
n'est qu'un objet à transformer, tout ce qui peut être fait doit
l'être, ce qui est bon pour la science est bon pour l'humanité,
etc.
Le rôle qu'on fait jouer à l'expertise montre qu'il n'y a pas de
séparation entre la Science et l'Etat (ou plutôt le pouvoir). La
science pourrait parfaitement justifier un pouvoir absolu des savants sur les
non savants comme une nouvelle forme de despotisme éclairé.
Jeudi 10 octobre 2002 (Compte rendu)
Présentation des interventions du GIET
Stéphanie Daydé est spécialiste de l'écologie
des milieux méditerranéens. Elle est chargée d'études
à la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes de Protection
de la Nature) et membre du GIET (Groupe International d'Études Transdisciplinaires).
Après une très longue période d'incubation, les sciences
de la nature prennent réellement leur forme au XVIIe siècle. Ce
sont les concepts en usage à cette époque qui continuent de structurer
la science contemporaine et par là-même la société.
L'accélération aveugle de la capacité des technosciences
à modifier la nature est ici analysée, et Stéphanie Daydé
montre l'inadéquation de la science telle qu'elle est avec le monde qu'elle
a contribué à créer. Il est clair, à la suite de
ces analyses, qu'un changement conceptuel radical est nécessaire, et
ce, très rapidement et ce n'est pas par un rejet de la science, par un
retour à des modes d'être encore plus périmés (irrationnel,
sectarisme, retour à la tradition etc.) qu'une issue viable pourra être
trouvée.
Un autre mode de connaissance et d'action est à construire, et il s'agit
là du plus grand, et du plus passionnant défi de l'histoire de
l'humanité.
Frédéric Jacquemart est docteur en médecine, docteur
ès sciences et ancien chercheur en biologie. Il est actuellement président
du GIET et s'implique dans diverses associations de protection de l'environnement.
La technoscience triomphante s'affiche comme connaissance universelle. Pourtant,
cette prolifération d'un certain mode de savoir cache des limitations
majeures, et de différents types, dont, notamment :
- des limitations liées au langage scientifique : on ne peut parler que
d'une partie nécessairement infime de ce qui peut s'énoncer ;
- des limitations liées à la complexité naturelle de l'objet,
par rapport à l'objet scientifique ;
- corrélativement, des limitations liées à la nécessaire
déformation de l'objet pour qu'il devienne objet scientifique.
Frédéric Jacquemart montre que ces limitations ne sont pas des
contraintes externes éventuellement repoussables ou modifiables, mais
sont bien structurelles, cosubstantielles à la science, fonctionnant,
de plus, en boucle auto-amplificatrice et aboutissant à un réductionnisme
ultraperformant mais nécessairement destructeur. On retrouve ici, à
travers une autre approche, la nécessité et l'urgence d'une révolution
conceptuelle introduite dans l'exposé précédent.
Vendredi 11 octobre 2002 (Compte rendu)
André Cicolella est chimiste de formation. Il travaille actuellement comme chercheur en santé environnementale à l'INERIS, Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques, où il dirige une unité d'évaluation des risques sanitaires. Il a conduit l'expertise sur les risques liés aux déchets de l'Erika. Il est à l'origine de la mise au grand jour du dossier des éthers de glycol, ces substances toxiques pour la reproduction massivement utilisées dans les produits à usage domestique et professionnel. Cela lui a valu d'être licencié pour faute lourde, du jour au lendemain, de l'INRS , l'Institut National de Recherche et de Sécurité en 1994 et de gagner tous les procès qui ont suivi, y compris en obtenant le premier avis de la Cour de Cassation reconnaissant l'indépendance des chercheurs en octobre 2000. Aujourd'hui, il contribue à la création de la Fondation "Sciences Citoyennes" qui se donne pour tâche de contribuer au débat sur l'indépendance de l'expertise et à la protection des lanceurs d'alerte, au développement de l'expertise citoyenne et à l'analyse critique des politiques publiques de recherche.
Bertrand Louart est menuisier et rédacteur
du bulletin critique des sciences, technologie et de la société
industrielle "Notes & Morceaux Choisis". http://netmc.9online.fr/
Je n'ai pas poursuivi mes études universitaires par dégout de
l'enseignement des sciences, trop borné et stérile pour la pensée.
J'ai donc poursuivi mes recherches de manière indépendante, ce
qui m'a amené à la critique sociale. Je participe à l'opposition
aux OGM dans la mouvance radicale autour de R. Riesel. Enfin, avec quelques
amis nous essayons de préciser une démarche critique et expérimentale
de réappropriation des arts, des sciences et des métiers afin
de sortir de la société industrielle en dénonçant
sa démesure et s'opposant à la dépossession qu'elle engendre
dans tous les aspects de l'existence.
Un enregistrement des débats est aussi disponible.