François de MALHERBE (1555-1628)

Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille


Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours.

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi serait, que selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu ?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil ?
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?

Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts...

Ne te lasse donc point d'inutiles complaintes
Mais, sage, à l'avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes,
Éteins le souvenir.

C'est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le coeur affligé,
Par le canal des yeux vidant son amertume,
cherche d'être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que Nature a joint,
Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire,
Enfermer un ennui,
N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?

Priam, qui vit ses fils abbatus par Achille,
Dénué de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville
Reçu du réconfort.

François quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son dauphin
Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant et comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,
Fit qu'à ses ennemis, d'un acte si perfide,
La honte fût le fruit.

Leur camp qui la Durance avait presque tari
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eût peur de sa furie
Et demanda la paix.

De moi déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus
Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre,
Qu'il ne m'en souvient plus.

Non qu'il ne me soit grief que la Terre possède
Ce qui me fût si cher.
Mais en un accident qui n'a point de remède
Il n'en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.

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