Du colza OGM bientôt dans les champs français ?

Philippe Mouchette, paru dans L'Ecologiste n° 34, 2011

Il semble bien qu'en Europe la stratégie de certaines multinationales est d'imposer les OGM en catimini. Au lieu de prendre la grande porte des OGM transgéniques, avec obligation d'information et d'évaluation, elles préfèrent passer par la fenêtre opaque des OGM mutés. Après des tournesols mutés cultivés dans l'Hexagone, c'est au tour du colza muté d'être bientôt proposé aux agriculteurs français.

Sans grand bruit, les champs français risquent d'être bientôt infestés de colza OGM. Pour être plus précis, la multinationale BASF Agro annonce sur son site que le projet de colza de la variété Clearfield est « en cours de développement ». Certes, il ne s'agit pas d'un colza transgénique. La technique utilisée est la mutagenèse. Comme l'expliquait un article du Financial Times en janvier 2009 [1], « collaborant avec Cibus, une société de développement des traits basée à San Diego, BASF a utilisé la mutagenèse dirigée pour mettre au point du colza d'hiver et du colza de printemps résistants aux herbicides Clearfield de BASF ». Or, selon la directive européenne 2001/18, la mutagenèse dirigée relève, elle aussi, des OGM, avec comme avantage pour les firmes de n'avoir aucune obligation d'information et d'évaluation. Au-delà du débat sur son caractère OGM ou non, ce colza muté devrait nous inquiéter. Pourquoi ? Tout simplement pour les mêmes raisons qui ont conduit la France à ne pas autoriser la culture de colza transgénique depuis plus de dix ans.

Une contamination inévitable

Le 27 novembre 1997, le gouvernement Jospin autorise la mise sur le marché du maïs transgénique. Mais, au même moment, il décide d'instaurer un moratoire sur le colza transgénique. Raison de cette prudence ? L'Inra évoque de possibles transferts de gènes entre le colza génétiquement modifié et de nombreuses plantes cousines présentes sur le territoire. Jean-Pierre Prunier, de l'Inra, explique en effet que « le problème est le croisement avec des espèces proches (colza et ravenelle par exemple) : cela risque de créer des mauvaises herbes qu'on ne pourra pas éliminer ». [2] D'autres scientifiques mettent en garde contre le colza OGM, comme le biologiste Pierre-Henri Gouyon, du Muséum national d'histoire naturelle. Selon lui, la dissémination d'un colza OGM est absolument inévitable : « Le colza se resème naturellement à des taux incroyables. Il faut savoir qu'un champ de colza produit environ 75 000 graines au mètre carré et qu'on perd souvent de l'ordre de 10 % des graines à la récolte (on en perd beaucoup plus qu'on en sème !). Ces graines tombent sur des bords de routes, de voies ferrées, dans les autres champs dans des tas d'endroits d'où on voudra pouvoir se débarrasser des plantes de colza. » [3]. Autrement dit, il est impossible de s'en préserver. P.-H. Gouyon ajoute que « le fait de rendre une espèce déjà relativement invasive comme le colza résistante à toute une série d'herbicides (...) est une évidente erreur ». C'est donc sur ces bases que la France avait suspendu la commercialisation des semences de colza OGM, et bien lui en a pris.

Les pires craintes confirmées en Amérique du Nord

Quand on regarde les pays qui ont décidé de cultiver du colza OGM, comme les Etats-Unis et la Canada, il est clair que la France a eu raison d'être prudente. Comme le constatait déjà Greenpeace Canada en mai 2009 sur son site, « aujourd'hui, la pollution par le colza transgénique au Canada est tellement répandue que cette plante est maintenant perçue comme une mauvaise herbe. Le colza transgénique se retrouve dans les champs de colza traditionnel et biologique, et il est devenu impossible de contenir cette contamination » [4]. Mais ce n'est pas tout. En raison de fécondation croisée entre différentes variétés transgéniques, du colza résistant à de multiples herbicides a été retrouvé à l'état sauvage [5]. En conséquence, les agriculteurs se voient obligés d'utiliser des herbicides de plus en plus puissants pour combattre ces mauvaises herbes transgéniques devenues résistantes aux herbicides.

Plus récemment, une étude menée aux Etats-Unis par une équipe de chercheurs par de l'université de l'Arkansas a montré que 86 % des plants de colza collectés au bord des routes du Dakota du Nord se sont révélés être porteurs d'au moins un gène conférant une capacité de résistance à un herbicide total. Comme l'a relaté un article du journal Le Monde [6], ces chercheurs ont également trouvé deux de ces plants revenus à l'état « sauvage » portant « chacun deux gènes de protection contre le glyphosate (herbicide que l'on trouve dans le Roundup commercialisé par Monsanto), mais aussi contre le glufosinate, un herbicide produit notamment par Bayer. Or un tel colza "double résistance" n'existe pas dans le commerce. Cela signifie que des croisements dans la nature ont "inventé" un nouvel OGM ». P.-H. Gouyon conclut : « On peut alors considérer le colza lui-même comme une mauvaise herbe. » D'autant plus que ce colza OGM aurait plus de latitude encore pour coloniser d'autres territoires, surtout là où les deux herbicides auxquels il est résistant tuent les plantes concurrentes...

Urgence

Il ne fait aucun doute que le colza muté aura les mêmes effets désastreux que le colza transgénique. Autrement dit, peu importe la technique utilisée, le gène de résistance à un herbicide constitue un véritable problème. Il y a donc urgence pour que la société civile se mobilise et fasse toute la lumière sur ce colza muté, qui pourrait être commercialisé en France dès 2011, avant que l'on n'arrive à un point de non-retour, comme en Amérique du Nord.

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Notes

[1] Clive Cookson, « BASF develops updated alternative to GM crops », Financial Times, 28 janvier 2009.

[2] Jean-Pierre Prunier, Dossier « OGM : progrès ou menace »,

[3] Pierre-Henri Gouyon, dans POUR, Dossier « Sciences et agriculture, accords et désaccords », N°178, Juin 2003, pp. 146-151.

[4] « Le colza transgénique », communiqué de Greenpeace Canada, 10 mai 2009.

[5] En 1997, il a même été mis en évidence un colza à triple résistance. Hall L., Topinka K., Huffman J., Davis L., et Good A. 2000. « Pollen flow between herbicide-resistant Brassica napus is the cause of multiple-resistant B. napus volunteers », Weed Science 48: 688-694.

[6] « Aux Etats-Unis, du colza transgénique prend la clé des champs », Hervé Morin, Le Monde, 9 août 2010.

« Pour ceux qui désirent agir dans leur région, il existe désormais, sur le site de l'association OGM Dangers, une carte avec les différentes associations militant contre les OGM, à l'adresse suivante : http://www.ogmdangers.org/action/agir »

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