Compte-rendu de conférence du 5 décembre 2000 avec Marc Dufumier et Renata Menasche.

OGM et faim dans le monde

Anne Liebskind présente l'association OGM dangers qui est un rassemblement de citoyens préoccupés par l'irruption des sous-produits des techniques de transgénèse. La préoccupation de l'association va des conséquences philosophiques et politiques aux causes qui ont pu donner naissance à ces applications industrielles. Elle a plusieurs actions à son actif dont un appel contre les brevets sur le vivant qu'elle héberge, et une présence dans les événements médiatiques. L'association se veut radicale au sens où elle veut revenir aux racines (radix, icis) des problèmes plutôt que s'accommoder de mesurettes, afin de redonner une place à l'action du citoyen.

Nicole Thiers présente le groupe ATTAC-OGM. Depuis sa création en septembre 1999, le groupe ATTAC-OGM d'Ile-de-France s'efforce de dénoncer les menaces qui pèsent sur les deux domaines de la biologie appliquée que sont l'agriculture et la santé ; un véritable " hold-up sur le vivant ", celui des ressources génétiques, est en cours, orchestré par une poignée de multinationales au pouvoir colossal - et qui cherchent à l'accroître encore par le biais des brevets. Les membres du groupe ATTAC-OGM d'Ile-de-France se battent pour que la sécurité alimentaire des peuples soit garantie et les agricultures paysannes protégées ; pour que la brevetabilité du vivant soit interdite et que les ressources génétiques soient déclarées bien commun inaliénable de l'humanité ; pour que les accords de l'OMC respectent la biodiversité.

Hervé Le Meur (HLM) présente Marc Dufumier, professeur d'agriculture comparée et développement agricole à l'Institut National d'Agronomique Paris-Grignon. Il lui cite la publicité d'un grand groupe agrochimique qui prétend que les biotechnologies vont aider à résoudre la faim dans le monde. Il insiste aussi sur le fait que le ministre de l'agriculture du Kenya (Hassan Adamu) a écrit au président des EUA (William Clinton) que " refuser aux gens désespérés et affamés les moyens pour contrôler leur futur, en prétendant savoir ce qui est meilleur pour eux, c'est non seulement paternaliste, mais aussi moralement mauvais " (cité dans le Washington Post 11 septembre 2000 ). HLM insiste aussi sur le fait que L.M. Houdebine, éminent directeur de recherche en biologie moléculaire à l'INRA, dans un article dans Pour la Science (n°276 Oct. 2000 p. 9) défend sensiblement la thèse du ministre de l'agriculture kenyan. Si donc le secteur public soutient la même thèse que les groupes agrochimiques, comment peut-on soutenir que les OGM ne résoudront pas la faim dans le monde ?

Marc Dufumier : La question est donc de savoir si cette nouveauté, les OGM, peut vraiment aider à résoudre la faim dans le monde. Mais d'abord de quoi s'agit-il ? Qu'est-ce qu'un Organisme Génétiquement Modifié ? Faire un OGM, c'est incorporer un gène d'une espèce (végétale ou animale) dans une autre espèce vivante, et non plus seulement faire des hybrides entre variétés d'une même espèce. Il faut savoir que c'est très coûteux et les multinationales qui ont investi dans la mise au point d'OGM ont visé principalement des marchés solvables, à savoir ceux des pays du " Nord ", et non pas du Tiers Monde. Les chercheurs, ou du moins leurs employeurs, ont du se demander quels gènes insérer pour rentabiliser leurs constructions. Pour l'essentiel, on a surtout intégré aux plantes des gènes de " résistance " à des insectes " nuisibles " qui, en fait, permettent aux OGM d'émettre eux-mêmes leurs propres insecticides. L'avantage serait de ne plus avoir à épandre d'insecticide dans les champs cultivés puisque c'est la plante qui émet désormais sa propre toxine. On est en droit de se demander quel peut bien être l'intérêt des multinationales à ne plus vendre d'insecticide, mais nous verrons que si prolifèrent des formes résistantes à la toxine en question, il peut devenir nécessaire d'épandre en abondance un autre insecticide.! Une deuxième catégorie d'OGM est constituée de plantes résistantes aux herbicides dont les mêmes multinationales sont souvent les producteurs. Là, on comprend mieux : On explique aux paysans que le désherbage sera plus rapide et moins coûteux. Seule l'OGM résiste au produit ; et les " mauvaises herbes " sont facilement éliminées. L'utilisation de l'OGM implique donc aussi l'achat de l'herbicide, pour le plus grand profit de la multinationale en question. On a également fabriqué une tomate faite pour avoir une meilleure conservation pour la garder plus longtemps sur l'étal de l'épicier. On a également produit un riz transgénique enrichi en béta-carotène (aussi appelé riz doré à cause de sa couleur légèrement orangée due au b carotène). Il sécrète un précurseur de la vitamine A. Quand les multinationales ont travaillé sur cet OGM, elles pensaient que du fait de son rôle préventif contre le cancer, elles trouveraient chez nous, dans les pays du Nord, un vaste marché. Mais le problème est qu'il existe en fait bien d'autres façons, pour nous, de trouver de la vitamine A (beurre, fruits, carottes, ...).

Il existe aussi des OGM résistants à la sécheresse, à la salinité Enfin, il y a le brevet Terminator, qui empêcherait les producteurs de reproduire eux-mêmes la plante génétiquement modifiée en prélevant les semences sur leur propre récolte. Mais la multinationale a pris soin de dire qu'elle ne mettrait pas ca sur le marché. A priori, toutes les sources d'inquiétude valables pour les pays développés sont a fortiori valables pour les pays du Sud. Quand on mange un OGM, il faut savoir qu'on ingère un insecticide ou un herbicide ! Or, avant de mettre un insecticide sur le marché, on a coutume de faire une évaluation préalable de sa toxicité pour l'homme. Mais rien de tel avec les OGM ! Pour le maïs-insecticide, rien n'a été fait pour en évaluer vraiment la toxicité. Et l'insecticide incorporé à la plante ne peut être lavé en aucune façon. En plus, pour vérifier que le gène avait été bien inséré, on y a incorporé aussi un gène " marqueur " de résistance à un antibiotique. On nous dit que la probabilité du passage de la résistance à l'antibiotique dans des bactéries intestinales serait infinitésimale. Mais infinitésimale ne veut pas dire nulle. Cela dit, il semble qu'on pourra se passer de ce gène de résistance à l'antibiotique dans l'avenir. Pour le Tiers-monde, on dit parfois que la révolution de la transgénèse est une suite directe de ce qu'on a appelé " révolution verte ". Je pense que c'est assez différent. Pour la " révolution verte ", on a fabriqué des variétés à haut potentiel de rendement photosynthétique, capables de fournir de hauts rendements à l'hectare à condition de leur fournir des engrais et d'autres intrants manufacturés ! D'après la FAO, l'utilisation mondiale des engrais aurait cru de 360% de 1970 à 1990, cependant que celle des produits phytosanitaires augmentait de 420%. Pour le plus grand plaisir des industries chimiques ! Ceci dit, les plantes sur lesquelles on a travaillé furent en nombre limité (principalement le blé, le maïs et le riz) ; et de nombreuses plantes vivrières des pays du Sud ont été plutôt délaissées (les millets, l'éleusine, le tef, la quinoa, l'igname, la patate douce, etc.). Les grandes compagnies de l'industrie chimique savent donc bien où sont les marchés solvables. Mais en ce qui concerne les OGM, cela se présente de façon un peu différente : les plantes-insecticides ou résistantes aux herbicides ont d'abord été conçue, en théorie, pour permettre de diminuer les coûts de production ; mais attention, il ne faut pas s'illusionner :

En tout état de cause, ces problèmes sont bien plus difficiles à contrôler dans les pays du Tiers-monde où les populations pauvres ne disposent pas des moyens nécessaires à la mise en place de systèmes d'alerte efficace en cas d'amorce d'une éventuelle prolifération d'insectes parasites. Il nous faut donc penser d'autres approches agronomiques. On peut d'ailleurs s'inspirer des pratiques anti-aléatoires déjà pratiquées par de nombreuses paysanneries du Tiers Monde. Ainsi en est-il des systèmes de culture associées dans lesquels plusieurs espèces et variétés aux exigences agro-physiologiques différentes sont cultivées simultanément dans les mêmes champs : on y observe en effet généralement une moindre incidence des maladies et des attaques d'insectes nuisibles, du seul fait des " barrières " occasionnées à leur propagation par celles des espèces ou variétés qui ne leur sont pas favorables. Je connais des paysans haïtiens qui plantent des haricots sous les bananeraies, après y avoir maintenu leurs cochons au piquet ; les cochons y ayant mangé les limaces, les haricots ne peuvent plus être mangé par les limaces ! Une rotation cochon-haricot à l'ombrage de bananiers : vous ne trouverez rien de tout cela dans les livres d'agronomie. Faut-il pour autant mépriser ces savoir-faire en matière de lutte biologique ? Un autre problème concerne les risques de perte de biodiversité, déjà commencée avec la " révolution verte ". Quand une variété se révèle plus efficace, on utilise beaucoup moins les autres. Certaines sont même totalement abandonnées et disparaissent peu à peu. A quoi s'ajoutent les phénomènes de compétition. Ainsi, avec les saumons : la dissémination dans la nature de saumons transgéniques à croissance rapide (fût-ce de façon involontaire et limitée) pourrait amener l'éradication des autres saumons incapables de résister à leur concurrence. Actuellement, le seul OGM qui trouverait peut-être grâce à mes yeux est le riz doré. Mais j'y mets des conditions :
  1. Qu'il n'y ait pas de brevet Terminator,
  2. Qu'on soit sûr qu'il n'y a pas de transfert du gène vers une espèce sauvage qui lui donne un avantage sélectif,
  3. Qu'il ne provoque pas d'allergie.

Mais il restera toujours la question : en a-t-on vraiment besoin ? Au fond des régions montagneuses du Laos, dans les régions reculées où il n'est pas facile d'importer et de cultiver des carottes ou d'autres légumes riches en vitamine A, je ne crains pas d'affirmer que si ca pouvait aider, je serais favorable à cet OGM. Tout ça pour dire qu'il ne faut pas diaboliser les OGM en tant que tels. Il faut toujours étudier les OGM au cas par cas. Les scientifiques doivent faire à chaque fois la démonstration de leur utilité et de leur innocuité. A eux de convaincre. Et l'enjeu est suffisamment important pour que l'on ne puisse pas se contenter d'une simple majorité de 50% dans l'opinion publique !

HLM : Merci à M. Dufumier de son exposé très intéressant. J'aurais quelques questions et commentaires préliminaires. D'abord, vous avez parlé d'un maïs " résistant à l'insecte ". Une mauvaise compréhension pourrait faire penser qu'on n'aura pas besoin de mettre d'insecticide et donc qu'on polluera moins. C'est négliger que c'est la plante qui émet l'insecticide et dans des quantités qui n'ont pas été mesurées à ma connaissance (!). Quand on les a sommairement évaluées, ce serait environ 10.000 fois la quantité d'insecticide utilisé en agriculture bio. Il pollue donc plus. De plus, le brevet terminator a une histoire complexe. Il a été mis au point par le secteur public américain sur contrat avec l'entreprise Delta Pine & Lands (DPL). Monsanto avait eu l'intention (qu'il n'a pas finalisé) de racheter cette société. En disant qu'il refusait d'utiliser ce brevet il ne s'engageait pas à grand chose car il ne le possède pas. De plus, il existe une douzaine de brevets similaires de par le monde. Enfin, on a découvert cette semaine des essais en Angleterre d'un colza OGM contenant un des brevets (qui n'est pas qu'un seul gène) Terminator. Comment peut-on avoir confiance dans les grandes déclarations des autorités publiques et privées ? De plus, vous avez qualifié la probabilité de dissémination d'un gène de résistance à un herbicide de " infinitésimale ". Pourtant, au Canada, des mauvaises herbes ont déjà attrapé un gène de résistance à un herbicide la première année, un gène de résistance à un deuxième herbicide la deuxième année et un troisième gène la troisième année. Ce phénomène est donc avéré et en fait rapide. Sur le riz au béta carotène, je voudrais ajouter d'autres graves défauts :

  1. Ce gène est "protégé" par une soixantaine de brevets. Or Zeneca n'en a "libéré" que six pour l'instant. Il est probable qu'il ne sorte jamais : le système est en train de s'effondrer sur lui-même.
  2. Si ce riz est le seul qui trouve grâce à vos yeux, on voit bien qu'il n'a qu'un aspect promotionnel. Il est l'arbre derrière lequel on veut cacher la forêt des OGM.
  3. Il existe aussi un risque de survitaminose.
  4. Il existe d'autres méthodes pour pallier ce déficit en vitamine A et je serais heureux que des questions l'évoquent.

Marc Dufumier : Je ne pense pas que le risque de survitaminose existe. Certains pensent même que c'est le contraire : il faudrait manger des quantités considérables de riz pour satisfaire les besoins des populations actuellement carencées et l'on ne pourrait finalement pas faire l'impasse sur le besoin de diversifier l'alimentation des populations pauvres d'Asie. Pour le reste, je suis globalement d'accord avec vous.

HLM : Je suis heureux de passer la parole à Renata Menasche qui est agronome au Brésil, fait une thèse en anthropologie sociale actuellement à l'EHESS et a été attachée parlementaire du député (Parti des Travailleurs) qui a proposé une loi interdisant le transgénique dans l'Etat du Rio Grande do Sul. Elle habite Porto Alegre et travaille depuis quinze ans avec des ONG et des associations paysannes.

Renata Menasche : Bonsoir. Je suis très contente d'être ici ce soir. Je m'excuse, car je ne pourrai pas faire mon exposé en français. Je le commencerai à partir de la fin de l'exposé de M. Dufumier. Les consommateurs ont-ils le choix ? La maladie de la vache folle a suscité de nombreuses réflexions en Europe. Pour la production de soja, il existe trois gros pays producteurs : EUA, Argentine et Brésil. Le Brésil est le seul qui n'a pas encore autorisé la production d'OGM. En fait, aujourd'hui, au Brésil, il y a de grosses batailles pour savoir si le Brésil va produire du soja transgénique ou pas. C'est une question qui vous intéresse aussi et je vais essayer de dire pourquoi. Les acteurs, les enjeux les luttes En juin 1998, il y a eu une demande d'autorisation pour le soja OGM de Monsanto. Cette demande a été immédiatement approuvée par la Commission Nationale technique de BIOsécurité (CNTBIO). En fait, ce soja n'est pas approuvé parce qu'il y a une lutte judiciaire de Greenpeace-Brésil et l'institut de défense du consommateur qui a interrompu la procédure. La situation actuelle est que la semaine dernière, la Cour suprême du Brésil a approuvé l'utilisation des OGM mais ce n'est pas fini. Dans le Rio Grande do Sul, où 25% du soja national est produit, il y a une forte opposition aux OGM. Le gouvernement national est favorable aux OGM, le gouvernement de l'état du Rio Grande do Sul y est opposé ! Il y a d'un coté des associations de paysans, le mouvement des sans-terre, des organisations de consommateurs, des associations environnementales et des ONG. De l'autre de grands propriétaires fonciers qui sont favorables aux OGM. Dans cette bagarre, la mobilisation la plus importante a été celle des grands propriétaires fonciers. Le gouvernement de l'Etat doit donc une position défensive. Il nous faut donc organiser une mobilisation des associations de consommateurs et de paysans contre les OGM. Nous n'avons pas un tissu d'associations puissantes comme en Europe. Un des arguments des résistants aux OGM est de dire que le marché du non-OGM est très profitable. Hélas, actuellement, les acheteurs ne paient qu'un petit supplément. L'avantage pour l'agriculteur est en fait dérisoire. Comme il y a un surcoût de tracabilité qui absorbe au moins le petit avantage, concrètement, le paysan gagne moins d'argent. La tentation de prendre des semences OGM existe à cause des publicités qui disent que le transgénique coûte moins cher à produire. Si vous voulez du non transgénique, il faut faire pression auprès des acheteurs européens pour qu'ils payent le prix du non transgénique. Sinon, les paysans arrêteront d'en faire. Je conclurai avec la déclaration de Vancouver : " Nos corps, plantes et animaux, notre air, eau, terre ne sont pas des marchandises. Ils ne peuvent pas être brevetés, ils ne sont pas à vendre. Quand un système de production viole les droits des citoyens, l'ordre naturel des écosystèmes de la planète, il est essentiel que nous, peuple, fassions usage de notre liberté inaliénable de lutter contre ces abus ".

HLM : Merci de votre intervention. Je remercie également, M. Paulo Morruzi qui a très gentiment traduit les propos de Renata Menasche. J'aimerais préciser un point qui me semble important : vous dites que les Sans Terre sont contre les OGM et les riches propriétaires terriens pour. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, sachant qu'il semble que ce soit la même chose qu'en France où il y a d'un coté la Confédération Paysanne (contre tout OGM dans l'agriculture et l'alimentation) et de l'autre la FNSEA qui est pour, même s'ils ne le disent plus aussi ouvertement qu'au début. Ce serait encore la lutte des puissants contre les faibles ? Si je me rappelle bien, la loi, qui date de la révolution, stipule qu'un paysan, s'il trouve une terre qui n'est pas utilisée, peut en prendre possession pour son usage propre et faire vivre sa famille. Comme de grands propriétaires terriens n'utilisent pas une partie de leurs terres, ils s'exposent à cela de la part des nombreux Sans terre. Mais ils vont jusqu'à utiliser des milices pour que les Sans terre ne s'approchent pas de ces terres qui pourraient les nourrir. De plus, je crois qu'il existe des filières de vente de semences de soja en Argentine qui approvisionnent des semences OGM vers le Brésil. Qu'en est-il ?

Renata Menasche : L'année dernière, il y a eu une dénonciation de ce qu'un tiers du soja du Rio Grande do Sul était transgénique. C'est sûrement extrêmement exagéré, mais il existe une contrebande avec l'Argentine. Les semenciers vendent partout dans le monde leurs semences OGM en exigeant que les graines produites leur soit revendues sauf en Argentine. Donc, de facto, ils approvisionnent les Argentins en semences vendues environ 50% moins cher que les mêmes semences vendues aux fermiers des EUA, et leur laissent la possibilité de faire de la contrebande avec les paysans du Rio Grande do Sul. C'est l'explication des soupçons de présence de transgénique dans l'état de Rio Grande do Sul. Ici aussi, il y a eu des contaminations de maïs et colza. Mais la ministre de l'environnement Mme Voynet a dénoncé la possibilité que cette situation soit provoquée par les multinationales pour tester la réaction des Etats. Pour la deuxième question, actuellement, effectivement, ce sont les plus gros producteurs qui veulent promouvoir les OGM en disant que ca diminue les coûts. Au contraire, les organisations paysannes disent que ca reste un modèle industriel de l'agriculture et que cela va priver les paysans de travail.

HLM : OGM dangers a pris contact avec Carrefour pour demander si une surprime était payée aux paysans brésiliens. Le distributeur a répondu que non car, de toute façon, seul le non transgénique est autorisé dans le Rio Grande do Sul ! Ce que nous dit Renata Menasche est important : il faut faire pression sur Carrefour et les acheteurs européens pour que les paysans brésiliens soient rémunérés de leur travail.

Marc Dufumier : Effectivement, il faut un rapprochement entre la France et le Brésil. Il existe d'ailleurs une coopérative en Bretagne qui essaie de mettre en place des filières certifiées sans OGM en payant correctement les paysans brésiliens. Mais il faut suivre le produit tout au long de la filière, du début à la fin, éviter les contaminations croisées, et ca représente malheureusement un coût. Bien sûr il n'est pas normal que ce coût soit à la charge de ceux qui refusent les OGM, mais si on refuse de le payer, alors ce sont les paysans brésiliens qui ne toucheront rien, ce qui minerait à terme la filière. Bien sûr, on peut toujours faire des analyses par sondage. Ainsi peut-on aujourd'hui identifier des traces d'OGM sur les confiseries incorporant de la lécithine de soja. Mais combien faudrait-il en faire pour être pleinement sécurisés ?. Seule une traçabilité garantie et vérifiée tout au long de la filière pourrait nous rassurer. Mais les surcoûts, à terme, risquent de rendre non compétitive la filière sans OGM. C'est pour cela que la bataille ne sera définitivement gagnée que quand il n'y aura plus du tout d'OGM.

Gérard : Je parle en tant que membre du Mouvement des Ecologistes Indépendants (MEI). Derrière les OGM, il y a des problèmes politiques, sociaux et de consommateurs. En France, 76% des français les refusent. Et pourtant, les politiques les autorisent, sous la pression économique qui est énorme. Face à cela, c'est à nous de faire pression.

Renata Menasche : Oui, mais si, au Brésil, le soja OGM est autorisé, vous pourrez toujours faire pression : il n'existera plus de soja non-OGM en quantité suffisante.

Danièle Belissard : Je voulais insister sur le fait que la lutte contre les OGM est la même que la lutte contre l'OMC. Pour le riz au béta Carotène, je crois que le déséquilibre alimentaire qu'il manifeste est du à la colonisation. Que c'est à cause du déséquilibre des économies locales par la colonisation qu'on a été amené à une quasi-exclusivité de la source alimentaire. Donc à supposer même que ce riz soit sans risque, donné, sans conséquence écologique, il ne fera que continuer sous une autre forme l'approche colonialiste. De plus, cela sape les cultures vivrières (qui nourrissent) au profit des cultures de rente (qui rapportent de l'argent à ecux qui exportent).

Marc Dufumier : Je vous rejoins sur plusieurs points : le problème est économique et les paysans du tiers Monde devraient pouvoir protéger leur agriculture vivrière de la concurrence internationale, à l'opposé des recommandations de l'OMC. Ainsi, par exemple, dans l'altiplano andin, la petite paysannerie amérindienne s'est mise à cultiver du blé, céréale pour laquelle beaucoup d'efforts ont été réalisés en matière de recherche agronomique, et ont délaissé progressivement les cultures andines, telle que le lupin alimentaire et la quinoa, pour lesquelles peu de recherches ont été menées à bien. Du coup, plusieurs espèces et variétés autochtones ont disparu. Mais maintenant, c'est le blé qui n'est plus rentable, du fait des farines importées à bas prix en provenance d'Europe ou des Etats Unis. Il ne reste donc plus aux paysans qu'à se rendre dans les bidonvilles de Lima, où ils ne trouvent pas de travail, ou émigrer vers la forêt amazonienne, pour y cultiver la coca ! De même, dans les régions reculées du nord Laos, le pavot était cultivé autrefois strictement pour la consommation locale. L'opium était fumé pour ses vertus analgésiques ; on l'interdisait néanmoins aux moins de quarante ans, car les populations locales étaient conscientes des risques d'accoutumance et de ses effets à moyen terme. Ce sont les colonisateurs qui en ont fait une culture de rente en créant la Régie française de l'opium. Mais dans ce cas précis, cela ne s'est pas fait en concurrence avec les cultures vivrières, car son calendrier cultural est décalé par rapport à celui du riz pluvial et du maïs. Il nous faut donc éviter les généralisations hâtives et analyser les choses en tenant compte des conditions spécifiques de chaque région. Et c'est d'ailleurs pourquoi je me refuse de diaboliser les OGM en tant que tels. Je m'attaque davantage aux intérêts des multinationales et à la " main invisible " (qui est aussi souvent aveugle !) qui font que les recherches ne sont généralement pas mise au service des plus pauvres, marché non solvable. Mais je ne suis pas sûr qu'il faille à tout prix faire peur, aux risques de créer des amalgames qui peuvent se retourner facilement contre les causes que nous défendons... Prenons l'exemple de la listériose. Après une malencontreuse intoxication alimentaire, les consommateurs peuvent être tentés, si l'on n'y prend pas garde, de réclamer l'interdiction des fromages au lait cru. Alors que ce sont les fromages pasteurisés qui présentent les plus grands dangers. A force de tout vouloir tout pasteuriser, on risque de créer des aliments propices à la prolifération accidentelle de listérias pathogènes, sans concurrence aucune des formes de listérias qui ne présentent aucun danger. De même, je ne dis pas que les multinationales aient fondamentalement envie d'éliminer les petits paysans. Non, c'est encore plus grave : C'est strictement une question de gros sous. Quand on fait de gros investissements, on s'efforce de les amortir et de faire ainsi des économies d'échelle. Pour cela, il faut standardiser, et là commence le danger. Bien sûr, la conséquence est que les petits disparaissent ; ce n'est pas nécessairement l'objectif des gros investisseurs, mais cela en est la conséquence inéluctable. C'est contre un système économique dans lequel les humains ne sont qu'un marché que je m'insurge !

Narcisse Benna : Je suis étudiant en approche de l'humanitaire. Je suis venu car, africain, je m'intéresse aux problèmes de coopération. Le vrai débat est sur les brevets sur le vivant, comme on l'a vu avec la réforme de la loi bioéthique. Ces lois seront modifiées afin de permettre la brevetabilité du vivant comme le souhaite la directive 98/44. Mon deuxième commentaire est que le capitalisme à outrance est le problème. Quand je suis arrivé en France, j'ai été très surpris qu'alors que les Français ont tant de richesses matérielles, les Français ne sont pas heureux. Je crains que développer plus de techniques n'aide pas à rendre heureux. Alors pourquoi ?

HLM : je ne crois pas que la modification des lois de bioéthique soit associée à la directive 98/44. Pour votre deuxième point, je ne crois pas qu'on puisse ajouter quoi que ce soit.

Alain Bertrand : A mon avis, Hervé le Meur se trompe sur les lois bioéthiques. Pour le reste, je rappelle qu'à cause des accords de Blair House, la surface semable en soja est limitée pour assurer un débouché au soja américain ! Or, avec la vache folle, on va vouloir utiliser plus de soja donc transgénique !

Salle : Non, car on n'est pas obligé de manger de la viande. On peut manger des protéines végétales. De plus, les vaches pourraient manger de l'herbe ! Ce n'est pas inimaginable, que je sache ! Non, ce sont tous les aliments à base d'OGM qu'il faut boycotter et particulièrement les viandes qui sont nourries avec des farines animales.

Marc Dufumier : Effectivement, nous pouvons manger des végétaux, et les vaches aussi ! Il faut entre 4 et 10 calories végétales pour faire une seule calorie animale. Donc c'est un système qui n'est pas efficace. On peut dire effectivement que si l'on mangeait plus de calories végétales, on pourrait tout à fait avoir de quoi nourrir tout le monde. Mais ce n'est pas par manque de disponibilités alimentaires mondiales que beaucoup des gens ont faim. C'est parce qu'ils ont été éliminés par la concurrence des producteurs les plus compétitifs que des paysans pauvres ont été réduits à l'exode rural et à la pauvreté, sans pouvoir désormais acheter les vivres qu'ils ne produisent plus eux-mêmes. N'oublions pas non plus que l'élevage en plein air met parfois mieux en valeur les régions herbagères que ne le feraient des cultures de céréales ou de tubercules. J'irais plus loin en disant qu'un boycott pas assez mûri peut avoir des effets contraires à ceux escomptés. Pensez aux producteurs du Limousin ou de l'Aubrac qui ne donnent que de l'herbe à leurs vaches. Si vous faîtes un boycott de la viande de bluf, celui-ci aura un effet sur tous les producteurs, et en particulier sur les plus modestes : ceux qui élèvent leurs animaux exclusivement à l'herbe. Or, comme ils sont aussi aujourd'hui les plus fragiles, ce sera eux que vous élimineriez en premier !

Salle : je travaille dans les assurances et je m'intéresse aux problèmes d'évaluation des risques. Je voudrais rappeler que les sociétés d'assurances refusent d'assurer les risques OGM car ils ne sont pas évaluables. Cela devrait faire se poser des questions !

Marc Dufumier : Parfaitement ! Notre société devrait d'abord se prémunir contre les risques d'accidents et de pollution dès le départ, en évitant de promouvoir et de mettre en oeuvre les systèmes de production agricoles qui présentent le plus de dangers. Ainsi, en Normandie, dans le Pays de Caux, les exploitants pratiquaient autrefois des systèmes de polyculture et élevages associés. Les pailles de céréales servaient de litières pour les animaux. Le fumier était enfoui dans les champs de betteraves, en tête de rotation. Aujourd'hui, c'est tout le contraire : les exploitants spécialisés dans la céréaliculture brûlent leur paille car il n'ont plus d'animaux, et faute de fumier, ils épandent de fortes doses d'engrais chimiques, notamment des ammonitrates. Les éleveurs ne mettent plus de pailles dans leurs étables et ne produisent plus de fumier. Les déjections animales s'accumulent et l'urine finit par s'infiltrer dans les sols. Les nitrates rejoignent finalement les nappes phréatiques Tant est si bien (si mal !) que l'eau des nappes devient non potable. Voilà où mène la spécialisation des exploitations agricoles : au divorce du carbone et de l'azote ! le carbone repart en fumée avec le brûlis des pailles ; l'azote ne trouve plus le carbone nécessaire à la vie microbienne des sols et à la fabrication de l'humus : il rejoint les nappes phréatiques. Sans humus, les sols perdent leur stabilité structurale ; ils deviennent plus sensibles au ruissellement et à l'érosion, avec les risques d'inondations dans les bourgades situées en fond de vallées. Après quoi on fait appel aux assureurs ! Mais ne pourrait-on pas d'abord éviter les risques de tels incidents en gérant mieux nos écosystèmes ?

Michel Cottençot : Quand vous asseptisez le fromage (car je ne veux pas utiliser le terme de pasteurisation : Pasteur ayant volé ce procédé à Appert), vous introduisez des risques spécifiques. De plus, il faut tout boycotter et ne soutenir que les produits issus de l'agriculture biodynamique. Ce n'est pas vrai que le bio coûte plus cher.

Marc Dufumier : Il est vrai que le bio pourrait coûter moins cher si un grand nombre d'aides à l'agriculture polluante étaient supprimées. Mais encore une fois il ne faut pas trop simplifier : même sans aide, l'agriculture industrielle, parce qu'elle externalise des coûts qui reposent sur la société et pas sur les agrochimistes, revient moins cher. A quoi s'ajoutent les coûts de la certification, qui suppose un suivi rigoureux des produits tout au long des filières. Mais il faut aussi s'interroger sur les raisons pour lesquelles la plupart des exploitants agricoles ont spécialisé leurs systèmes de production à l'extrême, avec pour effet d'avoir de plus en plus recours à des intrants chimiques. C'est encore une affaire de compétitivité économique, dans un système qui ne fait pas de cadeaux. Si on achète une grande moissonneuse batteuse, il faut pouvoir l'amortir au plus vite, sur de grandes surfaces, et donc reconvertir les prairies aux céréales. A l'inverse, si on investit dans une stabulation libre et une salle de traite, il faut l'amortir avec un grand nombre d'animaux et donc renoncer aux cultures non fourragères. La séparation est prononcée. Voilà où nous mène un système économique où les producteurs sont en compétition et défendent leurs intérêts privés sans avoir à prendre en compte les coûts économiques et écologiques pour la société. C'est ce qui fait que les produits bios sont actuellement plus chers sur les marchés. Donc, le monde étant ce qu'il est (et je le regrette comme vous, mais je préfère le prendre comme il est, pour mieux combattre ses tares), un boycott sur la viande de bluf aurait pour effet de mettre encore plus en difficulté les petits producteurs qui élèvent leurs animaux à l'herbe. Je vois bien que ce n'est pas ce que vous souhaitez, mais c'est ce à quoi ca tendrait.

HLM : Je suis désolé : nous devrons clore ici cette conférence débat. J'aurais voulu rappeler les travaux d'Amartya Sen qui est indien et a eu le prix Nobel d'économie. Il a montré que la faim dans le monde n'est pas un problème de production. C'est un problème du au défaut de répartition de la propriété foncière, de solvabilité, d'infrastructures et à des problèmes politiques. C'est ainsi qu'il y a quelques années, l'Erythrée souffrait de famine. Mais dans le même temps, ce même pays exportait du soja pour nourrir les porcs anglais. Il n'y a aucune contradiction : les gros producteurs veulent exporter car ils ont de quoi manger. Ce n'est pas le cas des petits. Donc, quand bien même la production serait augmentée par les OGM, quand bien même il n'y aurait pas de risque ni alimentaire, ni environnemental, ni politique, ni social ni même philosophique, la hausse de la productivité ne serait pas la réponse à la faim dans le monde. La FAO a confirmé cette vérité dans un rapport récent où il est dit que la faim est due presque exclusivement à la pauvreté et à la non solvabilité des populations et non à un manque de production. Un bon exemple est celui des EUA où 36 millions de personnes souffrent de la faim alors que le pays est exportateur d'aliments. De même un tiers de la population mondiale qui souffre de la faim est en Inde, alors que l'excédent de ce pays en 1999 était de 10 millions de tonnes de céréales (Devinder Sharma in Business Line 21 juillet 2000). Dans un communiqué de presse du 15 novembre 1999, la FAO disait que, pour la première fois, les urgences alimentaires provoquées par l'homme (troubles civils, crises économiques) sont plus dévastatrices que celles dues aux catastrophes naturelles. Je tiens à remercier les associations organisatrice : ATTAC OGM et OGM dangers d'avoir organisé cette conférence ainsi que le public pour ses questions et sa passion.

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