Colloque national sur les essais en champs au Conseil Economique et Social (4 et 5 février 2002)

Texte de la contribution de Hervé LefMeur, membre de l'association OGM dangers.
Le sujet de la table ronde était :

Aspects socio-économiques de la recherche sur les OGM et de leur développement.

Temps alloué par intervenant : 5 minutes

Tout d'abord, je voudrais remercier les personnes qui ont procédé à des arrachages préventifs l'an dernier. Sans elles, le débat d'hier et aujourd'hui n'aurait pas eu lieu. Grâce à elles, plusieurs personnes (hélas pas toutes) peuvent s'exprimer. Je pense notamment à mon voisin, M. Ewald, qui les a traitées d'obscurantistes et quasiment de terroristes. Je pense aussi aux biologistes moléculaires de l'INRA qui n'ont vraiment rien fait pour ce débat.

Venons-en aux faits : pour nous, on ne peut pas s'opposer aux OGM si on ne s'oppose pas au monde qui leur a donné naissance, mais aussi au monde vers lequel ils nous entraînent.

Je vais donc essayer d'illustrer cette thèse.

On nous dit que les OGM vont augmenter la productivité. Le mieux est certainement de citer nos opposants : l'ACGA (un syndicat de producteurs de maïs américains). Ils expliquent que depuis douze ans, la productivité augmentant, leur production augmente. Leur production augmentant, les prix baissent. Les prix baissant, des fermiers se retrouvent au chômage. Que donc la course à la productivité, ne leur semble pas bonne !

Qu'on ne se trompe pas : leur discours est proprement révolutionnaire car ils remettent en question un des fondements de nos sociétés industrialisées : le Progrès.

Supposons donc que les OGM n'aient pas de risque alimentaire, ni de risque environnemental, et augmentent la productivité ... Et bien, même dans ce meilleur des mondes, nous les refuserions comme ces fermiers américains !

Mais ils profitent à une clique de semenciers et aux chercheurs qui les ont mis au point !

Il faut donc se poser la question de la place de la recherche. Elle n'est peut-être ni bonne ni mauvaise, mais elle n'est pas non plus neutre ...

Prenons un exemple. Des chercheurs [1] (du secteur public !) pressentaient qu'un gène contrôle l'expression de ce que ce soit une patte ou une aile qui s'exprime chez le poulet. Ils ont fait l'expérience et ils l'ont montré. Je viens de vous dire la version scientifiquement correcte.

Concrètement, ils ont fait un embryon de poulet à quatre pattes !

Leur défense est classique : ce n'est que de la recherche pure, fondamentale, ... Le but n'est que de faire avancer la connaissance, comprendre et contrôler le vivant, lutter contre les obscurantistes ... J'avoue que la dernière référence est pour mon voisin M. Ewald et c'est moi qui l'ai ajoutée.

Sauf que, une semaine plus tard, un industriel a dit que ca l'intéressait car les pattes se vendent plus cher que les ailes.

Il est facile de se draper de probité candide et de blouses blanches. Mais, à rester le nez dans la paillasse, la recherche (publique !) refuse de voir qu'elle nous fabrique un monde où il y aura des poulets à quatre pattes. Mais surtout, elle refuse de reconnaître qu'en y travaillant, elle nous prépare à trouver cela normal.

La recherche (publique ou privée n'importe pas) n'est vraiment donc pas neutre.

On parle des manipulations génétiques des plantes et des animaux. Je vous rappelle que l'homme est, aussi, un animal. Je voudrais donc vous citer le Docteur Stock qui a écrit un livre dans lequel il appelle de ses voeux que l'homme « prenne le contrôle de l'évolution humaine ». En clair, que l'on fasse des Humains Génétiquement Manipulés (HGM) avec des gènes qui améliorent leurs performances, leur productivité ... « De tels changements ne seront pas sans douleur. Mais se demander si ils sont "sages" ou "souhaitables" néglige le point essentielqu'ils ne seront pas une question de choix ; ils seront les produits inévitables de l'avance technologique ».

Je voudrais rester sur ce sujet en vous donnant une autre citation : « Aucun enfant nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d'avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique […]. S'il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie ". Cette citation est de Francis Crick [2]. Cet éminent scientifique a reçu le prix Nobel en 1962 pour sa découverte avec James Watson de la structure de la molécule d'ADN. C'est donc une figure essentielle pour les biologistes moléculaires.

Pour conclure, je me contenterai de re-citer notre thèse : On ne peut pas être contre les OGM si on n'est pas contre le monde qui leur a donné naissance, mais aussi et peut-être surtout contre le meilleur des mondes vers lequel ils nous entraînent.

Merci.


Références :

M. Hervé Chneiweiss (Herve.Chneiweiss@recherche.gouv.fr) le conseiller du ministre de la recherche m'ayant accusé de faire des citations tronquées, je donne des précisions ci-dessous qui n'étaient pas dans l'exposé. Hélas, la forme du débat a rendu impossible que je donne ces précisions au public. Je lui ai communiqué mes références en en donnant d'autres (Daniel Cohen cofondateur du généthon et du CEPH, mais aussi James Watson, ...). Il nous écrira pour dire si ma traduction était fausse ou si il me présente des excuses.

Dernière minute (27/02/02) :M. le conseiller s'estimant au-dessus de son engagement moral, il a considéré que ces propos n'étant pas tenus dans le cadre d'une publication scientifique (apparemment, la revue La Recherche n'est pas une revue scientifique poru ce Monsieur), il n'avait aucune obligation. La morale ne vaut pas grand chose au ministère !

[1] Ces chercheurs travaillent à l'université de Harvard (Massachussets) sur le gène Pitx1. Le communiqué de presse est daté du 12/03/99 et signale que Des gènes semblables à ceux du poulet existent chez l'être humain.

[2] Francis Crick, co-découvreur avec J. Watson de la structure de l'ADN. Prix Nobel 1962 La Recherche mai 1984 p. 744 article de P. Thuillier. Initialement cité dans le numéro de janvier 1978 de Pacific News Service.

" À bas la dictature de la sélection naturelle, vive la maîtrise humaine du vivant ! Car à quoi bon se voiler la face ? Il est évident que l'homme, dans un avenir plus ou moins proche, aura le pouvoir de modifier son patrimoine génétique. Et l'appréhension que suscite l'évocation d'une telle échéance ne semble guère justifiée. […] Je suis persuadé que l'homme futur, celui qui maîtrisera parfaitement les lois de la génétique, pourra être l'artisan de sa propre évolution biologique, et non celui de sa dégénérescence ". Daniel Cohen, généticien, cofondateur du généthon et du CEPH. Actuellement directeur général de GENSET, Les gènes de l'espoir, Laffont 1993

" Il faudra que certains aient le courage d'intervenir sur la lignée germinale sans être sûr du résultat. De plus, et personne n'ose le dire, si nous pouvions créer des êtres humains meilleurs grâce à l'addition de gènes (provenant de plantes ou d'animaux), pourquoi s'en priver ? Quel est le problème ? "
James Watson, co-découvreur avec Francis Crick de la structure de l'ADN. prix Nobel 1962.
Courrier International 21 décembre 2000. Propos prononcés lors du symposium de 1998 à UCLA sur la thérapie germinale (c'est à dire la modification génétique d'humains et de leur descendance).

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