Un jugement du Conseil d'État en demi teinte
Paris le 24 octobre 2024
Nous expliquons ici le contexte d'une décision du Conseil d'Etat (CE) du 23 octobre à laquelle nous sommes partie. Puis nous en rendons compte. Puis nous l'analysons en en contextualisant les trois principaux éléments et nous concluons.
Dès 2014, plusieurs associations (dont OGM dangers) ont inrtoduit une action en justice afin de forcer le Premier Ministre à interdire les Variétés rendues Tolérantes à un Herbicide (VrTH) devant le Conseil d’État. Les VrTH sont des plantes qui sont modifiées pour tolérer un herbicide qu'elles stockent donc et qui se retrouve dans la chaîne alimentaire. Ce sont des plantes à pesticides. Le CE a posé deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui a souhaité étendre le sujet. Elle a tranché quatre questions
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les plantes mutées sont des OGM (quelle que soit la mutagenèse) ;
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Cependant les OGM qui sont faits avec « certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. » (c. 17 de la 2001/18) sont exemptés ;
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Les OGM faits avec des techniques qui n'étaient utilisées depuis longtemps en 2001 ne peuvent prétendre disposer d'une expérience de sécurité avérée depuis longtemps. Donc ils doivent être assujettis à la 2001/18 ;
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Pour autant les législations européennes OGM et commercialisation des semences permettent aux États membres de mettre des règles plus strictes pour la culture de certains de ces OGM dans le respect du Traité de Fonctionnement de l'UE (en clair pas d'entrave au commerce). Les États peuvent donc faire des restrictions pour la culture et la commercialisation des semences des VrTH, qu'ils soient OGM régulés ou non régulés, voire non OGM.
En clair les nouveaux OGM sont bien des OGM et, en plus ils doivent être assujettis à la directive européenne sur les OGM. Peu importe ce qu'ont pu dire deux Ministres de l'agriculture (M. Denormandie et M. Fesneau) qui niaient que les nouveaux OGM soient des OGM.
La décision du Conseil d’État du 23 octobre 2024
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condamne l’État à « adopter des mesures permettant d’assurer la traçabilité de l’usage des semences de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) jusqu’à l’utilisation finale des cultures » (art. 1)
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interprète l’arrêt CJUE du 7 février 2023 comme ne faisant pas de distinction entre les mutagenèses in vivo et celles in vitro (point 4 et art. 2) ;
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demande à l’État de retirer toute restriction sur les plantes mutées in vitro alors qu’il lui avait demandé de les restreindre. Pour cela il lui fait dire que les plantes issues de mutagenèse aléatoire seront exonérées (point 5 et art. 2) ;
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considère que l’État a globalement satisfait les injonction du précédent arrêt du Conseil d’État (7 février 2020) ;
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constate que l’État n’a pas traité le cas de certaines Vrth (colza), mais il l’en exonère (point 18) ;
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condamne l’État à seulement 10 % de l’astreinte pour ses demandes 2 à 5 d’arrêt du 7 février 2020 (cf. plus bas).
2. préciser « la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».
3. identifier les « variétés, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), qui y auraient été inscrites sans que soit conduite l'évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises » ;
4. « prendre les mesures nécessaires [...] en matière d'évaluation des risques liés aux VRTH ».
5. se faire autoriser par l’Europe « à prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagenèse utilisées en France. ».
Trois principaux problèmes sont en fait traités dans cette décision du Conseil d’État. Nous aborderons successivement les VrTH, l’argumentation du CE sur la bonne exécution par l’État de ce à quoi il l’avait condamné puis les mutagenèses in vivo versus in vitro.
Sur les VrTH
La grande victoire de cette décision est son article 1. Le Conseil d’État enjoint à l’État « d’adopter des mesures permettant d’assurer la traçabilité de l’usage des semences de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) jusqu’à l’utilisation finale des cultures ».
Les consommateurs pourront savoir ce qu’ils mangent. Les transformateurs, les distributeurs pourront savoir ce qu’ils vendent. On notera que la Commission européenne travaille à désétiqueter les OGM/NTG. Comment cet arrêt français pourra-t-il s’imposer à l’Europe ?
Sur la bonne exécution des injonctions 2 à 5 de l’arrêt du 7 février 2020
Sur les articles 2 et 3, puisque le CE considère que les
mutagenèses in vitro et in vivo ne sont pas
distinguables, elles sont devenues sans objet.
Sur l’article 4, l’État a présenté le 9 février 2022 un plan
d’action en six actions destinées à évaluer les risques liés aux VrTH
pour la santé humaine et le milieu aquatique.
L’action 1 est du vent.
L’action 2 est une instruction technique (22 mars 2022) prévoyant des
recherches d’herbicides sur des VrTH. Sans nouvelle.
L’action 3 prévoit la réalisation, en 2023, d’une étude du métabolisme
de dégradation des herbicides chez le tournesol VRTH. L’OFB devait
lancer un Appel à Manifestation d’Intérêt la semaine du 6 mars 2023.
Appel à Manifestation d’Intérêt infructueux (point 14).
L’action 4 consiste à mettre en place, en 2022, une expérimentation de
terrain dans un bassin versant sur deux parcelles, l’une plantée en
VRTH et l’autre non. L’OFB a fait un appel à manifestation d’intérêt
le 7 novembre 2022, puis le 13 février 2023 sans manifestation
d’intérêt des chercheurs car cet appel n’est pas assez financé comme
l’a dit la Rapporteure au CE. C’est du vent.
L’action 5 prévoit la réalisation d’une étude de faisabilité préalable
à la mise en place d’un réseau de points de prélèvement dans le but de
parvenir à une évaluation plus générale des risques pour le milieu
aquatique. Appel à Manifestation d’Intérêt infructueux (point 14).
C’est du vent.
L’action 6 consiste à demander à l’ANSES d’analyser les résultats qui
seront obtenus dans le cadre du plan d’action. Sans nouvelle.
Malgré l’inaction de facto sur les actions 3 à 5, le CE conclut « compte tenu des engagement pris par l’Office français de la biodiversité, l’Etat doit être considéré, à la date de la présente décision, comme ayant mis en œuvre les différentes actions de son plan d’action destiné à évaluer les risques liés aux VRTH pour la santé humaine et le milieu aquatique. » (point 14).
Sur l’évaluation des risques, « un décret pourrait désormais […] imposer aux exploitants […] de déclarer la culture d'une » VrTH. Le CE constate qu’il n’a pas été adopté et l’État n’a pas précisé ses intentions. Il n’a pas non plus répondu « à la recommandation d’assurer la traçabilité de l’usage de semences VRTH jusqu’à l’utilisation finale des cultures. ». En conséquence, « l’État ne peut être regardé, sur ce dernier point, comme ayant complètement exécuté l’injonction mentionnée à l’article 4 de la décision du 7 février 2020 » (point 15).
Sur l’article 5, l’État ne traite que deux lignée de tournesol et pas toutes les plantes VrTH, dont les colzas. L’État affirme que « si des semences VRTH issues de la mutagénèse venaient à être cultivées en France chez d’autres espèces, des mesures appropriées seraient également envisagées. » (point 18). Le CE conclut que « l’État doit être considéré comme ayant exécuté l’injonction mentionnée à l’article 5 » (point 19). Sic.Le CE s’inquiète d’une condamnation de l’État qui pourrait induire l’« enrichissement indu » des associations ayant introduit le procès. Il ne nous attribue donc que 5.000 euro (TTC), 22.500 à l’ANSES et 22.500 à l’OFB qui va donc recevoir un peu plus d’argent pour faire le travail auquel le CE a déjà condamné l’État, qui n’a pas appliqué la condamnation. Y a-t-il alors vraiment condamnation de l’État ou un « enrichissement indu » de l'OFB?
In vivo et in vitro
Dans son arrêt de 2020, le CE distinguait la mutagenèse in vivo, dont les requérants ne contestaient pas le caractère exempté, de la mutagenèse in vitro. Il exigeait de l’État qu’il liste les techniques de « mutagenèse aléatoire chimique ou physique appliquées sur des cellules de plantes cultivées in vitro » (article 2).
Le CE a resoumis une question préjudicielle à la CJUE sur cette distinction entre mutagenèses in vivo versus in vitro. La Commission européenne, appuyée par l’EFSA, avait dit qu’il y avait un continuum et donc qu’on ne pouvait pas faire de différence. C’est idiot car une couleur (et sa fréquence) peut varier du jaune au vert en continu, mais les gens normaux font la différence entre le jaune et le vert. Nonobstant cet argument et d’autres, la CJUE a rendu un arrêt un peu complexe le 7 février 2023.
Dans cet arrêt, la CJUE précise que des techniques de modification génétique in vitro ont été utilisées avant 2001 et il n’était donc pas dans l’esprit du législateur de les assujettir « en tant que telles ».
Elle dit aussi (point 64) que « les organismes obtenus par l’application [in vitro] d’une technique/méthode de mutagenèse [qui a été …] traditionnellement utilisée [in vivo …], mais qui se distingue de cette seconde technique/méthode de mutagenèse par d’autres caractéristiques sont, en principe, exclus de l’exemption ». Cependant, il faut « qu’il soit établi que ces caractéristiques sont susceptibles d’entraîner des modifications du matériel génétique de cet organisme différentes, par leur nature ou par le rythme auquel elles se produisent, de celles qui résultent de l’application de ladite seconde technique/méthode de mutagenèse » in vivo (je souligne).
En résumé, il ne sufit pas qu'une technique de mutagenèse in vivo ait été traditionellement utilisée depuis longtemps (et donc exemptée) et sans risque pour que la même source de mutation utilisé in vitro sur des cellules isolées soit considérée comme traditionnellement utilisée depuis longtemps (et donc exemptée). Il faut voir si ces deux usages ont des conséquences qui diffèrent par leur nature ou par le rythme des modifications auquel elles se produisent.
La question est donc : est-ce que les mutagenèses in vivo et in vitro produisent des organismes dont les modifications du matériel génétique diffèrent par leur nature ou par leur rythme ?
Déjà, clairement, si les industriels ont abandonné les mutations in vivo au profit des mutationsin vitro, c’est bien qu’elles diffèrent.
Alors que l’arrêt de la CJUE comportait deux restrictions (soulignées plus haut), le Conseil d’État les balaie et dit que « les techniques de mutagénèse aléatoirein vitro doivent être considérées, au même titre que les techniques de mutagénèse aléatoire in vivo » (point 4).
Il en déduit qu’il suffit qu’une mutagenèse soit aléatoire (terme non défini) pour qu’elle ne soit pas assujettie à la directive 2001/18 par l’article D. 531-2 du code de l’environnement. Les plantes mutées, in vitro comme in vivo sont donc exonérées d’évaluation des risques, d’étiquetage, de publication de méthode de détection et de suivi post commercialisation.
Avec un tel arrêt on se demande pourquoi les agrochimistes se dispenseraient de dire que leurs OGM sont tous issus de mutagenèse aléatoire et donc qu’ils peuvent être désétiquetés ? C’est ce qu’a fait Cibus pour se soustraire aux lois européennes.
Nous soutenons qu’une technique aléatoire, qui n’est donc pas reproductible (ou de façon aléatoire et ce terme n’est pas défini), ne peut pas permettre d’obtenir un brevet sur son produit. Les agrochimistes doivent choisir : si c’est aléatoire, le produit n’est pas brevetable puisque ce n’est pas reproductible.
Il faut rappeler qu’un brevet doit pouvoir être exécuté par l’homme de l’art. Le but est de faire bénéficier l’intérêt général en préparant que cette invention passe à terme (20 ans) dans le domaine public et soit utilisable.
Conclusion
Nous saluons la condamnation de l'Etat à 50.000 euro pour n'avoir pas bien mis en place la traçabilité des VrTH, l’exigence de traçabilité et d’information du consommateur de présence de VrTH dans notre alimentation, nous déplorons les erreurs de jugement qui font dire au CE que l’État a fait ce à quoi il avait été condamné par le Conseil. Nous contestons que les plantes mutées in vitro soient de même nature que les plantes mutées in vivo.
Fait à Paris le (date plus haut)