Les OGM vus par les religions
L'association OGM dangers n'a aucune attache religieuse ou politique (cf. nos objectifs, ainsi que nos compte-rendus d'activité). Mais cela ne nous empêche pas de diffuser les avis des religieux qui ont pris position sur ce sujet ou de relayer des arguments en rapport avec ce sujet.
Vous trouverez ci-dessous un argumentaire général suivi de quelques liens vers des pages en anglais extraites d'un site américain plus consacrées à la religion juive. Vous pouvez aussi avoir quelques arguments pour les catholiques, les protestants ou consulter le numéro 9 de la revue L'Ecologiste consacré à Ecologie et religions. Si vous lisez l'anglais, vous pouvez aller sur une page en anglais présentant quelques points de vue de religions.
Très sommairement, les religions monothéistes ont tendance à voir l'humanité comme la création de Dieu et ce vers quoi a tendu Dieu. Pour les progressistes, souvent non religieux, l'homme est ce vers quoi a tendu ... l'histoire, ce qui ne diffère finalement pas tellement des religieux monothéistes. Il arrive même que des religieux soient progressistes. Dans les deux cas, l'homme est une valeur à peu près infinie qui peut justifier tout (et parfois n'importe quoi). Prenons un exemple. Pour faire advenir l'Homme (accéler l'histoire, ou le progrès), on pourrait se permettre des "raccourcis" attentatoires à l'homme (sans majuscule). L'humanisme, qui opposerait l'Homme à l'humain, pourrait alors être le complice des pires agissements. Il faut donc se méfier des projets qui prétendent reposer sur l'histoire ou sur l'Homme.
On voit ainsi que dans cette façon de penser, si quelque chose sert à l'homme, alors c'est bon. Par exemple, si l'on fait un porc OGM qui sert à l'homme, il n'y a aucun problème éthique (c'est l'avis d'un secrétaire de Vatican qui nous a été confirmé par un rabin). Bien sûr, on ne discute pas ici les risques. Il s'agit là d'avis de dirigeants de ces religions et non des positions des adeptes. Un sondage du 26 juillet 2001 montre que les juifs sont les plus prompts à soutenir cette technologie, une majorité de chrétiens s'y opposent et les musulmans sont les moins enclins à la soutenir aux EUA.
Les religions polythéistes sont beaucoup plus respectueuses des animaux, des végétaux, de la nature. Elles n'identifient pas Dieu (ou les dieux) avec l'homme. Elles sont donc la plupart du temps horrifiées à l'idée d'animaux transgéniques. Mais elles n'ont aucun poids éthique ou philosophique puisqu'elles n'ont pas de poids économique ...
Retour sur la transgénèse
Rappelons tout d'abord que la transgénèse est une technique qui permet de transporter des informations génétiques issues d'un organisme vers un organisme de n'importe quelle espèce ou même de règne différent. Ainsi on a fait des maïs avec un gène de scorpion [maïs/scorpion] ou des saumons auxquels on a mis plusieurs fois leur propre gène d'hormone de croissance. De toute façon, la définition d'un OGM est donnée par la directive 2001/18 :
organisme dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle.
La transgénèse constitue donc un saut radical que l'on ne peut pas assimiler à la sélection variétale pratiquée par les paysans depuis le néolithique. Ce serait identifier la modification a priori (transgénèse) avec une adaptation a posteriori (sélection). Dans le premier cas, on veut fabriquer la nature, dans le second, on accompagne son évolution. On voit que ce qui est en question est finalement la place de l'homme. Peut-il tout faire ? N'y a-t-il pas une forme de démiurgie dans ce projet ...
Quelques citations commentées
Une citation peut éclairer le sujet, sans appeler de commentaire. David Ellis (BCRI Forest Biotechnology Centre à Vancouver) travaille sur les modifications génétiques d'arbres. Il souhaite faire « un arbre à gros tronc, bas, grossissant vite » et il ne plaisante pas quand il dit même qu'il voudrait un arbre « avec peu de petites branches pour ne pas perdre de place sur les camions » [Ellis] !
Louis-Marie Houdebine est responsable de l'unité de recherche sur la différentiation cellulaire à l'INRA. Il a écrit « Un organisme vivant apparaît à un biologiste comme une mécanique extraordinairement sophistiquée, et la vie comme un vaste ensemble de réactions chimiques » [LMH]. Bien sûr cette conception est rendue possible par la mécanisation de nos sociétés. Mais elle n'est pas qu'une conséquence car elle encourage aussi cette évolution sociale, fût-ce seulement en nous y habituant. Il y a interaction entre la déshumanisation que chacun constate et cette vision mécaniste de la vie.
Ainsi, le rapport au vivant de J.P. Renard est surprenant, mais est la suite directe de la thèse précédente : « Accepter de remplacer les "mauvais" gènes de nos tissus déficients en faisant appel aux ovules de nos cousins les bêtes, c'est reconnaître avec les biologistes que l'homme est un animal et qu'il a raison d'être fier d'être un animal parce qu'être animal, c'est être vivant » [Renard]. Ce directeur de recherche à l'INRA oublie, lui, la dimension culturelle, symbolique ou religieuse de l'homme à cause du réductionnisme intrinsèque à la science. Il porte un jugement moral sur certains gènes comme "mauvais", alors que la réalité biologique est plus complexe : certains gènes ont pu être mauvais pour des individus et, sous l'effet d'autres pressions de sélection, devenir bénéfiques pour la survie de l'espèce. Ici comme souvent, la logique individuelle de celui qui refuserait un gène associé à telle maladie entre en contradiction avec la volonté de conserver et accroître la diversité qui est ce qui a souvent sauvé l'espèce humaine. Qui peut assurer que ce n'est pas un gène lié à la mucoviscidose qui permettra à l'humanité de survivre à un grand changement de pression de sélection [Toupance] ? Le fait qu'il envisage des modifications génétiques de l'humain ne constitue qu'une des façons de nous habituer : répéter, c'est convaincre !
Saint-Augustin docteur de l’Eglise, évêque d’Hippone (Bône en Algérie, devenue Annaba), 354-450.
Leroy Hood, lui, est pionnier du projet génome humain et est titulaire d'une chaire fondée par Bill Gates avec qui il collabore dans une entreprise de biotechnologie. Il attend que nous connaissions « quinze à vingt gènes permettant aux êtres humains d'améliorer leur intelligence, et nous pourrons les donner à nos enfants ». Il n'a « aucun scrupule face à tout ce qui peut améliorer le patrimoine génétique humain » [Hood].
Analyse plus générale
Il est classique de critiquer le paradigme simpliste du bien et du mal pour expliquer le monde. Celui-ci repose sur un jugement moral qui n'utilise que deux valeurs et il s'impose par sa redoutable simplicité et son efficacité technicienne. On assiste pourtant à la naissance d'un nouveau paradigme plus néfaste encore, que nous appellerons paradigme dérivé et qui oppose le mieux et le pire. Il ne suffit plus d'être bien, il faut être mieux. On ne veut pas un enfant qui soit en bonne santé, on veut qu'il soit en meilleure santé que ses voisins. C'est un "toujours plus" érigé en impératif. Les modifications génétiques n'en sont hélas pas la seule manifestation, mais ce qui est plus intéressant est qu'elles en sont aussi une source. Car enfin, si les sciences de la Vie voient la vie comme un jeu de construction, un assemblage matériel, pourquoi ne pas penser l'animal (et un jour l'homme) comme un assemblage matériel, une machine ? Au lieu de prendre l'humain tel qu'il est, on le voudra selon un projet qui sera toujours pour améliorer ses performances. On ne le prendra donc plus tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts. On l'assujettira à un projet. D'ailleurs, les promoteurs des Procréations Médicalement Assistées remplacent le terme d'enfant par "projet parental" ! Dans cette optique, l'humain ne sera plus une « fin en soi », mais un moyen. Au service de quoi, de qui ?
La sagesse populaire propose volontiers le dicton " Le mieux est
parfois l'ennemi du bien ". A quoi les tenants de la modernité et du
scientisme objectent " qui n'avance pas régresse ", nous accusent de
vouloir revenir à l'âge de pierre ou d'être pétainistes ! Bien sûr,
ces réponses sont stupides. De telles caricatures d'arguments ne
peuvent que trahir le désespoir de ces volontaristes d'un progrès dans
lequel l'homme n'est plus qu'un objet, qu'un moyen pour le Progrès qui
remplace les « lendemains qui chantent » pour ces idéologues.
P. Sloterdijk Le Figaro 7 août 2002
La question de la médicalisation de la vie, de la naissance, et même de la conception ainsi que de la mort est crucial. On doit se rappeler que le poète Rilke, au début du XXe siècle, percevait déjà des changements nets quant à la mort et craignait qu'à l'avenir, l'homme ne soit dépossédé non seulement de sa mort : « le désir d'avoir sa mort à soi devient de plus en plus rare. Quelques temps encore et il deviendra aussi rare qu'une vie à soi ». Il peut être utile d'insister sur le fait que « la mort à soi » n'est pas ce que l'on nomme euthanasie. C'est une mort choisie et à laquelle on s'abandonne au lieu d'une mort choisie et administrée par un tiers. Cette dernière, finalement, continue de nous hétéronomiser.
Il serait trop simple qu'il n'existe aucun gène ou combinaison de gènes qui assure une modification du comportement. On a montré [Monogamie] sur l'exemple de la monogamie que des scientifiques ont pu isoler un gène qui rend des souris monogames. Comme ce gène induit une protéine qui a les mêmes effets sur d'autres mammifères (brebis, ...) et que celui qui dirige ces recherches a pris la tête d'un laboratoire qui s'intéresse maintenant aux singes parce que « les singes sont un bon modèle humain », on peut se demander si quelque chose ne dépasse pas le projet du chercheur ...
Puisque l'on ne peut pas évacuer la possibilité qu'il existe des gènes associés à des comportements, quelles seront les modifications induites par les recherches sur de tels gènes ? On voit déjà des parents intéressés par la découverte d'un gène de la schizophrénie, de la dépression, de l'homosexualité. Ces nouvelles, qu'elles soient vraies ou fausses, répandent à la fois une culpabilité (être déprimé, homosexuel), son absolution (" c'est pas de ma faute, c'est mes gènes ") et la tentation de faire appel à des bricoleurs dans le futur. Elles sont le vecteur d'une forme d'ordre moral et d'une normalisation. Elles modifient notre perception de la vie. On voit ici que la seule nouvelle de la découverte d'un tel gène (et non la découverte) perverti les humains, au moins dans leurs relations aux enfants, à autrui. Supposons que mon enfant soit homosexuel, et que cela ne me plaise pas, je regretterai de ne pas avoir fait un test de dépistage sur le foetus pour ne pas avoir un tel enfant ! La technique me sommera de dire pourquoi je n'ai pas eu recours à elle.
Connaissance, informations et perception de l'altérité
On vient de voir que l'information d'un résultat scientifique, même
sans application immédiate ou à moyen terme, modifie les liens entre
les humains (en les dégradant dans l'exemple précédent). L'information
n'est donc ni neutre ni toujours bonne. Ainsi, la jurisprudence
française autorise un enfant à porter plainte contre son père pour lui
avoir transmis une maladie génétique [Réf1]. Nous
n'en avons pas encore tiré les conséquences, mais à terme, quel père
peut encore accepter de vouloir donner la vie de façon irréfléchie ?
Il s'expose à se faire reprocher d'avoir donné la vie à son enfant
avec une "tare". N'est-ce pas une réduction de l'enfant à un bien de
consommation qui devrait être conforme ... à un idéal, donc à une
norme ? Le pire étant que l'on ne peut échapper à cette norme car
votre enfant pourra vous traîner en justice si vous n'avez pas fait ce
test ! On pourrait objecter que les normes seront diverses. Mais on
voit aussi dans les stéréotypes sur les types de femmes que la
diversité, si elle est théoriquement possible, est réduite à ce que
veut bien imposer la société du spectacle !
Nous pensons que ce surcroît de choix possibles pour les parents (les enfants ne seront ni mongoliens, ni avec un bec de lièvre, ni femmes si ils veulent ...) ne peut que diminuer la liberté des enfants d'être eux-mêmes, avec leurs qualités, et leurs défauts. "Grâce" aux tests génétiques, il y a déjà eu des Interruption Thérapeutiques de Grossesse (ITG) pour non conformité du sexe ... donc avec la bénédiction de médecins ! La pression vers des stéréotypes, vers une normalisation, ne pourra qu'augmenter, surtout si nous ne voyons plus ces gens dans la rue. Il n'est pas certain que parquer les mongoliens dans des institutions soit manifester une plus grande tolérance que de les intégrer à la société. Qui plus est, ne pas les voir ne peut que rendre plus "intolérable" leur présence. Cela devient un cercle vicieux où l'élimination du champ visuel prépare à l'élimination physique.
Séparer recherche pure de la "technoscience" ?
Paul Langevin Cahiers de l'Union Rationnaliste n. 80 de mars-avril 1940
On pourrait objecter qu'il suffirait de séparer la recherche pure, supposée forcément bonne et la recherche appliquée supposée forcément mauvaise dans une conception très manichéenne. Pourtant, n'importe quelle réflexion permet de voir qu'il est impossible de séparer l'une de l'autre. L'enjeu est donc de savoir si l'on a bien pesé les deux fléaux de la balance. Quel prix moral est-on prêt à payer pour nos médicaments ? Rappelons-nous que Frédéric Joliot-Curie était chercheur du secteur public, pacifiste convaincu, quasiment sans intérêt financier et savait ce qu'il faisait quand il a fait un article dans Nature qui a fait partir la course à l'armement atomique le 10 avril 1939 ! Comme quoi l'on peut être désintéressé, pacifiste, chercheur du secteur public et faire ce que l'on condamne ... pour faire un article dans Nature !
A. Huxley voyait un État totalitaire, qui imposerait la fabrique
d'individus sur mesure. En se cachant derrière la santé, les
biotechnologies n'ont même pas besoin d'un état totalitaire et elles
feront demander l'eugénisme par la population. Nous ne voudrons plus
d'enfants, mais des projets parentaux, sans risque, sans défaut, avec
plein de qualités, mais qui seront pourtant toujours de moins en moins
conformes à nos désirs. Tout simplement parce que nos désirs seront
sans limite !
Un point de vue concernant les juifs (en anglais)
Nous reprenons, en copie locale extraite d'un site américain (http://www.biointegrity.org), un argumentaire (en anglais) de pourquoi la plupart des religions rejettent les OGM. Vous trouverez aussi, extrait du même site un argumentaire plus spécifique à la religion juive (source = http://www.biointegrity.org/Halakha.html) et la déclaration publique d'un premier rabbin et d'un second qui reprennent les arguments théoriques. Vous pourrez aussi consulter l'analyse de Deniza Gertsberg. Même si nous ne sommes pas sensibles à ces arguments religieux, nous pensons que vous, internaute, y serez peut-être sensibles.
Références
[Maïs/scorpion] Herrmann R.,
Moskowitz H. Zlotkin E. Hammock BD Toxicon août 1995 33(8)
1099-102
[LMH] Louis-Marie Houdebine Génie
génétique : de l'animal à l'homme ? Paris 1996
[Renard] Le Monde 22 janvier 1999
[Ellis] News Scientist 31 octobre
1998 p.32
[Toupance] Toupance B, et al. Am.
J. Hum. Genet. 1998 Juin 62(6):1525-34 A model for antagonistic
pleiotropic gene action for mortality and advanced age. Dans cet
article, les auteurs montrent qu'un gène qui induit une plus forte
mortalité à 40 ans a aussi l'effet de donner plus de chance, pour ceux
qui passent 40 ans, de devenir centenaires !
[Hood] The Village Voice, cité par Courrier
International 12-18 novembre 1998
[Monogamie] Existe-t-il un gène
de la monogamie ? H. Le.Meur
L'Ecologiste n. 5 disponible
sur notre site.
[Réf1] Le Point n° 1422 17-24
décembre 1999 Coupable d'avoir donné la vie ? par Emilie Lanez