Comment fait-on un OGM (niveau 2) ?
Comme il a été expliqué (et partiellement relativisé) dans les notions de biologie (niveau 2), un gène code les informations pour la synthèse d'une protéine qui remplit une fonction biologique. Hélas, on a souvent tendance à identifier le gène et la fonction. On parle ainsi du gène de résistance au glyphosate (un herbicide vendu notamment sous la marque Roundup ®). Mais ce gène, comme tous les gènes, produit une protéine. C'est cette protéine qui permet à la plante de résister à l'herbicide en le décomposant, c'est à dire en interagissant chimiquement avec lui et en produisant des sous-produits. La résistance n'est donc pas mystique ! De même le gène de résistance au pourrissement n'est qu'un gène qui produit la protéine (qui est une enzyme, ici) de polygalacturonase. Cette protéine assure la fonction d'empêcher l'enzyme chargée de détruire la peau des fruits pour permettre de libérer les graines d'agir. Elle bloque donc le développement normal.
Première étape : identifier gène et fonction
Dans un premier temps, le scientifique essaiera d'identifier des comportements, des fonctions (par exemple la résistance au gel chez un poisson des mers arctiques) chez des êtres vivants. C'est un travail de fourmi car on ne trouve que rarement ce qui nous intéresse, mais plutôt on doit faire des milliers d'observations pour identifier une fonction qui servira.
Il faudra alors chercher quelle est la protéine qui a l'effet. Bien entendu, il n'arrive quasiment jamais qu'une seule protéine soit en cause. La plupart du temps il y en a des centaines, voire des milliers. Supposons donc que l'on ait identifié la ou les protéines.
Il faudra encore chercher une infime aiguille (le gène) dans une immense botte de foin (l'ADN de l'être qui a la fonction). On a, pour cela, plusieurs indications car la séquence linéaire de la protéine permet d'identifier, en principe, le gène qui la synthétise. Cependant, de multiples phénomènes (épissage, ...) peuvent rendre cette identification très difficile. Comme on n'a pas encore cartographié le génome de tous les êtres vivants (de plus en plus sont investigués), on n'a pas encore un catalogue La Redoute ou 3 Suisses de tous les gènes avec les fonctions associées ! Qu'on l'aime ou pas (et nous ne l'aimons pas), cela semble être le sens de l'histoire. C'est donc un travail titanesque (dans tous les sens du terme) qui se fait actuellement dont le but est bien d'automatiser, d'industrialiser l'exploitation du vivant.
Deuxième étape : extraire le gène
Supposons le gène identifié (celui qui permet de résister au gel par exemple). On a alors des enzymes de restriction qui sont des substances (des protéines qu'on appelle enzymes dans ce cas) qui permettent de couper les molécules d'ADN au niveau d'une séquence particulière (par exemple AAGC). Vous lirez sûrement dans des ouvrages de vulgarisation que leur travail est précis. C'est vrai, mais incomplet, car elles coupent au niveau d'une séquence précise, mais cela ne veut pas dire à un endroit précis. Ainsi, si la séquence (AAGC par exemple) se trouve en de multiple endroits d'une molécule d'ADN, l'enzyme peut couper en n'importe lequel de ces endroits !
Une fois le gène identifié et extrait, il faut le
multiplier. Pour cela, on l'introduit (par exemple avec une pipette ou
une enzyme) dans une bactérie, puis on force la bactérie
à se multiplier. On obtient ainsi un substrat contenant notamment
le gène multiplié (les biologistes appellent cette
opération le clonage de gène : cela n'a pas de rapport
avec le clonage des individus).
Les biologistes oublient souvent de dire qu'il leur faut encore
purifier le substrat obtenu, c'est à dire en retirer tout ce
qui n'est pas le gène multiplié. Cette opération
peut être grave (cf. partie sur la L-tryptophane qui a fait 50
morts et 1500 paralysés), même si elle n'est que technique
comme disent les mauvais vulgarisateurs qui méprisent
facilement ce qui est technique, mettant l'esprit au-dessus de ce qui
est "seulement" matériel.
Troisième étape : insérer le gène
Puisque les bases (GACT) sont les mêmes pour tous les êtres vivants, on peut légitimement essayer d'insérer ce gène dans la tomate par exemple. Pour ceux qui s'effraient d'un tel projet démiurgique, cela a déjà été fait. Cela ne veut surtout pas dire que c'est normal, ni bien, mais nous sommes mis devant le fait accompli, ce qui pose des questions sur la place de la Science.
Il existe essentiellement deux façons d'insérer un gène dans une cellule hôte.
La première profite de l'affinité d'une bactérie du sol Agrobacterium tumefaciens qui suscite des tumeurs chez les végétaux en leur insérant de façon totalement aléatoire une partie de sa propre information génétique.
La seconde, beaucoup utilisée en industrie, consiste à
badigeonner des microbilles avec ce gène, et à tirer
avec un pistolet à microbilles sur la cellule ! Cette technique
est appelée biolistique.
Imaginez une pelote de laine (la molécule d'ADN repliée
sur elle-même dans la " toute petite" cellule) sur laquelle on
tirerait à la chevrotine des balles sur lesquelles on aurait
mis de la peinture (le gène) pour que la peinture se fixe sur
la pelote de laine en un endroit précis !
Si vous vous attendiez à une méthode délicate et fine, c'est raté ! D'ailleurs, même si de nombreux scientifiques et même les autorités de régulation (!? Cf. Par exemple nos citations de l'OCDE) soutiennent que la biotechnologie est précise, cela n'a pas empéché que l'OGM le plus vendu au monde (c'est à dire aux EUA), soit dénoncé comme
- ayant un bout d'ADN de 534 paires de bases qui n'était pas décrit et qui a surpris jusqu'à l'entreprise,
- que le gène inséré ait eu son ordre chamboulé,
- que l'ADN avoisinant ait été lui aussi chamboulé.
Toute ces données montraient que l'OGM n'était pas conforme au dossier présenté par l'entreprise et que l'entreprise faisait n'importe quoi ... avec la complicité des Etats et des autorités de régulation [1]. C'est même allé plus loin en 2005 [2] où l'on a découvert qu'une fraction de l'ADN inséré sans que qui que ce soit s'en soit aperçu était en fait transcrit. Ce qui signifie que les protéines synthétisées par l'OGM ne sont pas celles décrites par l'entreprise.
En quoi le caractère aléatoire de l'insertion importe ?
Supposons qu'on insère les lettres "pas" dans la phrase "j'aime les pommes". Cela peut donner "J'aime pas les pommes" et changer totalement le sens de la phrase, ou même la priver de tout sens ("pas J'aime les pommes") ! Cette image est confirmée par des arguments scientifiques qui montrent que les effets pourraient être graves, en tout cas qu'ils sont incontrôlés. On aura aussi une présentation (en anglais) plus complète des effets pleiotropiques.
Quatrième étape : comment isoler les cellules qui ont reçu le gène ?
C'est ici qu'intervient le gène de résistance à
un antibiotique utilisé dans de nombreuses constructions
génétiques. On peut trouver les détails
techniques : retenons que l'on insère ce gène, dit
technique car il n'a pas d'intérêt pour l'OGM, en
même temps que le gène dit d'intérêt (celui
du poisson arctique dans notre exemple). Il est alors possible de
savoir simplement quelles cellules ont attrapé le gène
d'intérêt et de tuer les autres en les mettant en contact
avec l'antibiotique. Celles qui résistent à
l'antibiotique ont le gène de résistance à
l'antibiotique et donc aussi le gène d'intérêt.
Les autres n'ont pas le gène d'intérêt.
Le tour est joué : on fait se multiplier les cellules
génétiquement modifiées et on obtient plein de
cellules de graines de tomates avec un gène de poisson
arctique.
Décidément, nous vivons une époque moderne et les
poissons arctiques ne manquent pas d'avenir !
Cinquième étape : Est-ce que l'OGM est bien conforme ?
Autrement dit, ne vous a-t-on pas menti plus haut ? Eh bien si ! De
toute bonne foi, comme le font certains scientifiques qui vulgarisent
et considèrent qu'ils ne peuvent pas rentrer dans les
détails car nous serions incapables de comprendre. On trouvera
sur le site plusieurs omissions
décrites. On retiendra que l'entreprise qui dit avoir
inséré le gène d'une bactérie, dans le
maïs, lui a fait subir en fait jusqu'à quatre
transformations lourdes !
Comme quoi, il faut se méfier même (surtout) du discours
scientifique et industriel le plus péremptoire. Le gène
inséré n'est pas le même que celui
prélevé dans le poisson arctique ou dans une
bactérie et on pourra s'en convaincre en consultant un texte sur notre site.
Comme on le voit, le discours de base peut sembler très
mécaniste : on prend un gène dans le poisson, on
l'insère dans la tomate et hop, v'là un OGM. L'habitude
du couper-coller informatique facilite l'acceptation de ce discours.
Mais la réalité fait intervenir bien plus de choses et
la biologie montre bien que même la génétique est
plus qu'une simple machine et le discours devrait être plus
complexe (cf. notre page sur le couper-coller).
Résumé :
Pour faire un OGM, on commence par identifier une fonction biologique intéressante. Puis on lui associe une protéine et on cherche dans le génome de l'individu qui a cette fonction, le gène correspondant. Ce gène identifié, et après plusieurs modifications, on l'insère quelque part dans le génome de l'organisme hôte, ce qui donne l'OGM.
Quelques références (cf. nos liens pour les résumés des articles) :
[1] Windels P, Taverniers I, Depicker A,
Van Bockstaele E and De Loose M (2001). Characterisation of the
Roundup Ready soybean insert. Eur Food Res Technol DOI
10.1007/ s002170100336, © Springer-Verlag;. On peut voir aussi la
dépèche Reuters en
anglais.
[2] Rang A, Linke B, Jansen B. Detection
of RNA variants transcribed from the transgene in Roundup Ready
soybean Eur Food Res Technol (2005) 220:438-443